Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/738

Cette page n’a pas encore été corrigée
732
REVUE DES DEUX MONDES


paissaient çà et là, sans être gardés, sur une lande fertile en chardons, qui était toute la propriété communale des habitans. Une malpropreté révoltante dans les chemins boueux qui servaient de rues, une odeur infecte s’exhalant de toutes les maisons, du linge déchiré séchant sur des buissons souillés par la volaille, des toits de chaume pourri, où poussaient des orties, un air d’abandon cynique, de pauvreté simulée ou volontaire, c’était de quoi soulever de dégoût le cœur d’Emmi, habitué aux verdures vierges et aux bonnes senteurs de la forêt. Il suivit pourtant la vieille Catiche, qui le lit entrer dans sa hutte de terre battue, plus semblable à une étable à porcs qu’à une habitation. L’intérieur était tout différent : les murs étaient garnis de paillassons, et le lit avait matelas et couvertures de bonne laine. Une quantité de provisions de toute sorte, blé, lard, légumes et fruits, tonnes de vin et même bouteilles cachetées. Il y avait de tout, et dans l’arrière-cour l’épinette était remplie de grasses volailles et de canards gorgés de pain et de son. — Tu vois, dit la Catiche à Emmi, que je suis autrement riche que ta tante ; elle me fait l’aumône toutes les semaines, et, si je voulais, je porterais de meilleurs habits que les siens. Veux-tu voir mes armoires ? Rentrons, et, comme tu dois avoir faim, je vas te faire manger un souper comme tu n’en as goûté de ta vie.

En effet, tandis qu’Emmi admirait le contenu des armoires, la vieille alluma le feu et tira de sa besace une tête de chèvre, qu’elle fricassa avec des rogatons de toute sorte et où elle n’épargna ni le sel, ni le beurre rance, ni les légumes avariés, produit de la dernière tournée. Elle en fit je ne sais quel plat, qu’Emiui mangea avec plus d’étonnement que de plaisir et qu’elle le força d’arroser d’une demi-bouteille de vin bleu. Il n’avait jamais bu de vin, il ne le trouva pas bon, mais il but quand même, et, pour lui donner l’exemple, la vieille avala une bouteille entière, se grisa et devint tout à fait expansive. Elle se vanta de savoir voler encore mieux que mendier et alla jusqu’à lui montrer sa bourse, qu’elle enterrait sous une pierre du foyer et qui contenait des pièces d’or à toutes les effigies du siècle. Il y en avait bien pour deux mille francs. Emmi, qui ne savait pas compter, n’apprécia pas autant qu’elle l’eût voulu l’opulence de la mendiante.

Quand elle lui eut tout montré : — À présent, lui dit-elle, je pense que tu ne voudras plus me quitter. J’ai besoin d’un gars, et, si tu veux être à mon service, je te ferai mon héritier.

— Merci, répondit l’enfant ; je ne veux pas mendier.

— Eh bien ! soit, tu voleras pour moi.

Emmi eut envie de se fâcher, mais la vieille avait parlé de le conduire le lendemain à Mauvert, où se tenait une grande foire, et,