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Les enfans dorment partout. Pourtant Emmi ne dormait guère. Il était malingre, souvent fiévreux, et rêvait plutôt qu’il ne se reposait l’esprit durant son sommeil. Il s’installa du mieux qu’il put entre deux maîtresses branches garnies de mousse, et il eut grande envie de dormir ; mais le vent qui faisait mugir le feuillage et grincer les branches l’effraya, et il se mit à songer aux mauvais esprits, tant et si bien qu’il s’imagina entendre une voix grêle et fâchée qui lui disait à plusieurs reprises : Va-t’en, va-t’en d’ici.

D’abord Emmi, tremblant et la gorge serrée, ne songea point à répondre, mais comme, en même temps que le vent s’apaisait, la voix du chêne s’adoucissait et semblait lui murmurer à l’oreille d’un ton maternel et caressant : Va-t’en, Emmi, va-t’en, Emmi se sentit le courage de répondre : Chêne, mon beau chêne, ne me renvoie pas. Si je descends, les loups qui courent la nuit me mangeront. — Va, Emmi, va, reprit la voix encore plus radoucie. — Mon bon chêne parlant, reprit aussi Emmi d’un ton suppliant, ne m’envoie pas avec les loups. Tu m’as sauvé des porcs, tu as été doux pour moi, sois-le encore. Je suis un pauvre enfant malheureux, et je ne puis ni ne voudrais te faire aucun mal : garde-moi cette nuit ; si tu l’ordonnes, je m’en irai demain matin.

La voix ne répliqua plus, et la lune argenta faiblement les feuilles. Emmi en conclut qu’il lui était permis de rester, ou bien qu’il avait rêvé les paroles -qu’il avait cru entendre. Il s’endormit et, chose étrange, il ne rêva plus rien et ne fit plus qu’an somme jusqu’au jour. Il descendit alors et secoua la rosée qui pénétrait son pauvre vêtement. Il faut pourtant, se dit-il, que je retourne au village, je dirai à ma tante que mes porcs ont voulu me manger, que j’ai été obligé de coucher sur un arbre, et elle me permettra d’aller chercher une autre condition.

Il mangea le reste de son pain, mais, au moment de se remettre en route, il voulut remercier le chêne qui l’avait protégé le jour et la nuit. — Adieu et merci, mon bon chêne, dit-il en baisant l’écorce, je n’aurai plus jamais peur de toi, et je reviendrai te voir pour te remercier encore. — Il traversa la lande, et il se dirigeait vers la chaumière de sa tante, lorsqu’il entendit paçler derrière le mur du jardin de la ferme. — Avec tout ça, disait un des gars, notre porcher n’est pas revenu, on ne l’a pas vu chez sa tante, et il a abandonné son troupeau. C’est un sans-cœur et un paresseux à qui je donnerai une jolie roulée de coups de sabot, pour le punir de me faire mener ses bêtes aux champs aujourd’hui à sa place.

— Qu’est-ce que ça te fait de mener les porcs ? dit l’autre gars.

— C’est une honte à mon âge, reprit le premier : cela convient à un enfant de dix ans, comme le petit Emmi ; mais, quand on en a douze, on a droit à garder les vaches ou tout au moins les veaux.