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CONTES D’UNE GRAND’MÈRE




LE CHÊNE PARLANT


À Mlle BLANCHE AMIC.



Il y avait autrefois en la forêt de Cernas un gros vieux chêne qui pouvait bien avoir cinq cents ans. La foudre l’avait frappé plusieurs fois, et il avait dû se faire une tête nouvelle, un peu écrasée, mais épaisse et verdoyante.

Longtemps ce chêne avait eu une mauvaise réputation. Les plus vieilles gens du village voisin disaient encore que, dans leur jeunesse, ce chêne parlait et menaçait ceux qui voulaient se reposer sous son ombrage. Ils racontaient que deux voyageurs y cherchant un abri avaient été foudroyés. L’un d’eux était mort sur le coup ;’ l’autre s’était éloigné à temps et n’avait été qu’étourdi, parce qu’il avait été averti par une voix qui lui criait : — Va-t’en vite.

L’histoire était si ancienne qu’on n’y croyait plus guère, et bien que cet arbre portât encore le nom de Chêne parlant, les pâtours s’en approchaient sans trop de crainte. Pourtant le moment vint où il fut plus que janiais réputé sorcier après l’aventure d’Emmi.

Emmi était un pauvre petit gardeur de cochons, orphelin et très malheureux, non-seulement parce qu’il était mal logé, mal nourri et mal vêtu, mais encore parce qu’il détestait les bêtes que la misère le forçait à soigner. Il en avait peur, et ces animaux, qui sont plus fins qu’ils n’en ont l’air, sentaient bien qu’il n’était pas le maître avec eux. Il s’en allait dès le malin, les conduisant à la glandée, dans la forêt. Le soir, il les ramenait à la ferme, et c’était pitié de le voir, couverL de méchans haillons, la tête nue, ses cheveux hérissés par le vent, sa pauvre petite figure pâle, maigre, terreuse,

TOME XI. — 15 OCTOBRE 1875. 46