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Ainsi les négociateurs italiens différaient notablement de M. Benedetti dans leur appréciation sur ce point très grave ; dans les relations toutes confidentielles et évidemment sincères qu’ils faisaient à leur propre gouvernement, ils envisageaient certain arrangement territorial et préalable entre la France et la Prusse comme une chose difficile sans doute, mais nullement impossible. Nous n’avons pas discuté dans notre travail la question de savoir si c’était le général Govone ou M. Benedetti qui avait mieux jugé la situation ; nous n’avons pas même fait mention de cette divergence d’opinions : nous avons seulement demandé comment M. Benedetti a pu croire qu’après Sadowa et Nikolsbourg il trouverait la Prusse accessible à des arrangemens qu’elle n’avait pas voulu prendre avant ses victoires immenses et au milieu d’une crise périlleuse à l’extrême ? Comment a-t-il pu le 5 août se charger[1] de demander à M. de Bismarck pour la France toute la rive gauche du Rhin sans en excepter la grande forteresse de Mayence, alors que le 8 juin il était persuadé qu’on n’obtiendrait pas de la Prusse un territoire de la valeur même du comté de Glatz ? Nous avons donné de cette contradiction la seule explication possible, la seule, nous osons l’affirmer, qui se soit présentée à l’esprit de tous ceux qui ont étudié ces événemens. Avant la campagne de Bohême, disions-nous, M. Benedetti ne se croyait pas de force à obtenir de la Prusse des concessions territoriales, et avait d’autant plus fait ressortir les difficultés d’une pareille demande qu’il craignait de voir la Prusse reculer et son connubio avec l’Italie avorter, si l’on mettait prématurément trop d’insistance sur le point des compensations. Il aimait mieux compter sur les événemens militaires pour procurer des avantages à son pays, sur « les nécessités auxquelles la guerre pourrait réduire le gouvernement prussien (Ma Mission, p. 172), » car pas plus que le commun des mortels il ne s’attendait au coup foudroyant de Sadowa. Après Sadowa, il fut effrayé du succès du Hohenzollern ; les angoisses patriotiques pour la France succédèrent dans son cœur aux généreuses sympathies pour l’Italie, et, ainsi qu’il le dit lui-même, « en présence des importantes acquisitions de la Prusse, il fut d’avis qu’un remaniement territorial était désormais nécessaire à la sécurité de la France. » (Ma Mission, p. 177.) Ce remaniement, il avait d’abord espère le trouver sur le Rhin, « pourvu que le langage de son gouvernement fût ferme et son attitude résolue (p. 178) ; » il l’avait ensuite cherché sur la Meuse et l’Escaut, et

  1. Nous avons dit : « Comment a-t-il pris sur lui de présenter à M. de Bismarck les demandes du cabinet des Tuileries ? .. » et M. Benedetti voit dans les mots pris sur lui l’insinuation d’une initiative. Nous avons cependant bien explicitement dit les demandes du cabinet des Tuileries, et nous avons aussitôt ajouté les propres expressions de M. Benedetti : « Je n’ai rien provoqué, j’ai encore moins garanti le succès ; je me suis seulement permis de l’espérer. » Aucun de nos lecteurs n’a pu se méprendre sur le sens de nos paroles, ni y voir surtout l’insinuation que nous prête gratuitement M. Benedetti.