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industriels. Il avait chargé un membre de l’Institut de poursuivre ces recherches pour son compte, et il monta un jour sur une locomotive chauffée au pétrole qui l’emporta au camp de Châlons. Si cet essai eût réussi, on eût bientôt chauffé la flotte avec l’huile minérale. Tout cela s’en est allé en fumée.

On peut se demander ce qui serait arrivé dans quelques autres contrées, si la nature leur avait si généreusement départi les richesses souterraines qu’elle a réservées aux États-Unis. Certains pays auraient-ils tiré parti de ces trésors cachés d’une manière aussi décisive et aussi rapide ? Il est permis d’en douter quand on voit le misérable état où l’Espagne laisse ses mines de houille, car celles des Asturies, de la Vieille-Castille et de la province de Léon sont peut-être aussi riches que les mines de la Pensylvanie. Il ne faut point oublier que, si la nature a beaucoup fait pour les États-Unis, les hommes ont aidé et les institutions aussi au développement de ces merveilleuses contrées. En Amérique, l’individu est partout, l’état nulle part ; jamais l’activité du citoyen n’est gênée dans son expansion native. Les administrations, les bureaux, quand ils se montrent, c’est pour venir en aide au travail industriel, c’est pour l’éclairer par des rapports, des statistiques, des publications soigneusement élaborées, aucunement pour le gêner par ces formalités minutieuses et lentes dont la plupart des nations latines ont conservé pieusement la tradition. Là-bas, rien ne reste dans les cartons, tout en sort, et promptement, à l’heure voulue. Chez nous, tout, s’y entasse, tout y moisit. « Je n’ai pas besoin de vous communiquer mes statistiques, disait un ministre des travaux publics sous le second empire à l’un de nos industriels, je les fais non pas pour vous, mais pour m’en servir contre vous. » Aux États-Unis, qui oserait tenir un pareil langage ? C’est pourquoi l’initiative individuelle fait là-bas de si grandes choses, et a donné notamment à l’exploitation de la houille, du fer, du pétrole, cette impulsion féconde dont nous venons de constater les résultats surprenans. Le progrès ne s’arrêtera pas, et le jour n’est pas éloigné, on l’a vu, où la Grande-Bretagne elle-même devra baisser pavillon devant les États-Unis pour la production de la houille et du fer. Quant à la première place dans l’extraction du pétrole, il est probable qu’aucune contrée au monde ne pourra jamais la disputer aux États-Unis. Et la nature n’a pas tout fait pour cela, les institutions politiques et le caractère national y ont une certaine part. C’est ainsi qu’une fois de plus se vérifie ce mot si vrai de Montesquieu, que les colonies prospèrent non pas seulement en raison de leur fécondité, mais aussi et surtout en raison de la liberté dont elles jouissent.


L. SIMONIN.