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c’est elle qui rentre chez elle avant lui, et le dieu reste à la porte. » Avec les Juifs, il discute, il cite ses autorités, il allègue pour les convaincre les premiers chapitres de la Genèse « et le psaume quarantième de David, » ce qui produit un effet assez étrange en vers ; mais tout en discutant il se fâche. Il appelle ses adversaires des vaniteux, des entêtés, et prétend que « Dieu leur a rendu le sens épais. » Quant aux chrétiens judaïsans, il les adjure de ne pas rester indécis, comme ils le sont, entre les deux doctrines, et leur montre qu’il leur sera impossible de les accorder ensemble et de les pratiquer toutes les deux : « Deux routes s’ouvrent devant toi ; choisis celle que tu veux suivre. Tu ne peux pas te fendre par le milieu, pour que chacun de tes pieds prenne un des deux chemins. »

On ne sera pas surpris qu’avec ces sentimens il soit très sévère aux gens du monde. Il se moque des avocats, il maltraite les gens riches, dont il dit « qu’ils se nourrissent du sang des autres et qu’ils ne sont heureux que s’ils peuvent vivre comme des porcs à l’engrais. » Sa verve s’exerce aussi aux dépens des femmes, qu’il accuse de trop aimer la toilette. « Tu te pares devant un miroir, dit-il à l’une d’elles ; tu frises ta chevelure et la fais retomber en boucles sur ton front ; tu te mets des onguens sur les joues pour avoir des couleurs fausses ; tu teins tes cheveux de façon à couvrir ta tête entière d’une crinière noire : crois-moi, tout cela n’est pas nécessaire à une femme honnête. » Elles ont des complices que Commodien n’épargne pas. Il nous apprend qu’il y avait déjà au IIIe siècle, dans cette jeunesse de l’église, des directeurs accommodans qu’on attendrissait par de petits cadeaux, qui avaient peur de blesser les personnes du monde en leur présentant un christianisme trop rigoureux, qui leur permettaient d’aller au théâtre, d’applaudir « leurs chers histrions, » d’écouter et de retenir des airs de musique. On pense bien que cette morale relâchée ne lui convient pas. Il ne cherche à ménager personne, et présente volontiers la doctrine qu’il prêche du côté le plus rebutant. Il ne veut pas qu’on tienne aux affections de la terre, même les plus légitimes, et défend de pleurer ses enfans quand on les a perdus ; dans une société où la préoccupation générale était de se préparer d’avance un tombeau, il se moque de ceux qui songent trop à leurs funérailles, qui se consolent de mourir en pensant à la foule qui suivra leur convoi et viendra dîner sur leur tombe. Il lui plaît de se mettre en hostilité avec l’opinion générale, de blâmer ce qu’elle préfère, et d’approuver ce qu’elle condamne. « Soyez fous pour le monde, et ne vous occupez d’être sages que pour Dieu. » C’est sa maxime ordinaire et le résumé de son enseignement. Ceux qui se conformeront à ces préceptes sont sûrs d’arriver au ciel ; ceux qui