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veut un peu de superflu, et la ménagère diligente, soigneuse, délicate, met une sorte de point d’honneur à embellir la demeure de l’ouvrier. Partout on se nourrit bien. On fait trois repas par jour, on mange de la viande à chaque repas ; le beurre, la pomme de terre ne manquent jamais, et, comme boisson, le café et le thé, arrosés de lait.

La population minière forme comme une petite armée qui compte aujourd’hui 60,000 individus dans ses rangs. Elle est d’ordinaire assez bonne et disciplinée, assidue à sa tâche ; mais les jours de paie on ne rapporte pas au logis tout ce qu’on a reçu, on dépense follement une partie du salaire si péniblement gagné, et dans les buvettes répandues à profusion les disputes et les coups naissent facilement. Tout ce monde est d’ailleurs bien mêlé ; il y a là des Allemands, des Irlandais, des Anglais, des Gallois, chacun apparaissant avec les caractères particuliers et surtout les inimitiés instinctives de sa race. Par momens éclatent des grèves : elles s’étendent quelquefois sur un mot d’ordre des chefs et les injonctions des comités sur toutes les mines en même temps. Ce qu’on veut, c’est la même chose partout : une augmentation de salaire avec une diminution des heures de travail. Les meneurs ferment avec des menaces la porte des chantiers à ceux qui, lassés d’attendre, voudraient y retourner. Des rixes, des batailles commencent, et le désordre est à son comble quand se présentent les constables ou la milice, la garde nationale de l’endroit. Des coups de feu sont tirés et des morts jonchent le sol. Enfin, après avoir longtemps parlementé de l’un à l’autre camp, celui des patrons et celui des ouvriers, on fait une cote mal taillée, on augmente un peu les salaires ou l’on réduit d’une heure la journée, sauf à revenir parfois sur ces concessions dès que le commerce languira. Qu’ont gagné les ouvriers anglais, qu’ont gagné les Américains aux grèves formidables suscitées dans les mines de charbon, les usines à fer, les filatures, et jusque dans les travaux des champs ? Peut-être une faible augmentation de salaire, après des mois entiers de lutte, de souffrances, de privations, que rien ne pourra compenser.

Pendant l’été de 1868, nous parcourions le bassin anthracifère de la Pensylvanie, aux environs de Pottsville. La population des ateliers souterrains s’était mise en grève. Sur toute l’étendue des mines, pas un puits ne marchait, pas une machine ne fonctionnait. Ce calme inaccoutumé avait quelque chose de pénible. Çà et là, on rencontrait des groupes de mineurs, la face morne, discutant ou silencieux. D’autres étaient tristement assis sur le pas de leur porte, ou une bêche à la main s’occupaient sans entrain autour de leur potager. La femme, les enfans, ne disaient rien, mais avaient faim. Sur nombre de points, des menaces, des violences, avaient eu lieu