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Le phénomène de l’aberration s’expliquait aisément dans l’ancienne théorie de l’émission, où la lumière est un fluide dont les molécules, lancées comme des flèches, viennent frapper la rétine de l’œil. Quand l’hypothèse newtonienne fut détrônée par la théorie des ondulations, elle lui légua une série de problèmes épineux, parmi lesquels l’aberration était un des plus délicats. Pour la concevoir, Fresnel dut admettre que l’éther où se propagent les vibrations lumineuses ne participe pas au mouvement des corps pondérables qu’il enveloppe et pénètre, qu’il passe librement au travers du globe, et que les oncles lumineuses cheminent dans un fluide en repos pendant que la lunette est emportée par la terre. Arago alors imagina une expérience destinée à éprouver la solidité de ce raisonnement. Ajustant un prisme à une lunette, il mesura la réfraction des rayons venus d’une étoile vers laquelle marchait la terre et d’une autre étoile qu’elle fuyait ; la vitesse de propagation des premiers devait se trouver accrue, celle des seconds diminuée de toute la vitesse de la terre, et la différence, qui s’élève à un cinq-millième, devait se manifester dans la grandeur de la réfraction. Il n’en fut rien ; la réfraction était la même pour toutes les régions du ciel.

Pour concilier ce résultat inattendu avec la théorie des ondulations[1], Fresnel supposa que le prisme entraîne avec lui l’excès d’éther qui se trouve condensé entre les molécules du verre, et cette hypothèse de l’entraînement partiel de l’éther par les milieux réfringens a été plus tard justifiée par une expérience ingénieuse de M. Fizeau. Néanmoins l’obscurité qui règne encore sur cette matière est loin d’être dissipée. On a examiné la question de savoir si la grandeur de l’aberration ne dépend pas dans une certaine mesure des lunettes employées. Pour élucider ce point douteux, le père Boscovich avait proposé d’observer les étoiles à travers une lunette dont le tube serait rempli d’eau ou de quelque autre liquide. Cette expérience a été tentée dans ces dernières années par M. Klinkerfues à Gœttingue, par M. Hœk à Utrecht, par M. Archer Hirst à Greenwich. M. Klinkerfues seul a cru remarquer une déviation due à l’interposition du liquide, mais ce résultat, contraire aux prévisions de Fresnel, n’a pas été confirmé et paraît reposer sur une erreur.

Il y a une quinzaine d’années, un physicien suédois, M. Angstrœm, et après lui M. Babinet, ont émis l’idée que les phénomènes de diffraction produits par les réseaux fourniraient un moyen de

  1. L’expérience d’Arago, telle qu’il l’avait instituée, n’était pas très concluante parce qu’il s’était servi d’un prisme achromatisé qui recomposait la lumière blanche après l’avoir déviée, tandis qu’il eût fallu mesurer la réfraction d’un rayon simple, de couleur déterminée ; mais cette dernière expérience donne le même résultat.