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royaume de Grèce n’a pas jusqu’à présent su prendre le rôle qui devait être le sien et créer ce petit état modèle que l’on avait rêvé et qui serait le noyau du grand état futur ; mais la Grèce a joué de malheur dans le choix de ses chefs, trop mal pourvus d’instruction et de prévoyance ; elle a été faite trop étroite pour être riche ; elle a été en naissant grevée d’une dette écrasante dont les étrangers ont seuls profité ; elle a été dévorée par les Bavarois ; enfin, au milieu de ces difficultés, elle a eu à se refaire. Si elle sait faire un intelligent et généreux effort sur elle-même, il lui reste peut-être assez de temps encore pour être prête au jour voulu.

Pourtant ne sera-t-elle pas elle-même absorbée par une puissance étrangère ? C’est ce qui nous reste à examiner. « Il y aurait, dit l’auteur de la brochure déjà citée, avantage évident à ce que le gouvernement fût transmis à la nationalité chrétienne, qui forme dans chaque pays la majorité de la population ;… mais il importe que sur aucun point une minorité chrétienne ne vienne se substituer, au détriment de la majorité véritable, à la minorité ottomane expulsée. Diverses races se partagent la vaste étendue de la Turquie : que chacune d’elles l’emporte là où réellement elle forme le noyau de la population ; qu’elles se groupent librement suivant leurs affinités, leur histoire, leurs besoins, et que ni la violence, ni la surprise ne viennent jeter de nouveaux fermens de désordre dans cette organisation, de laquelle dépend la paix de l’avenir. » Telle est certainement la pensée de tous les politiques hellènes ; telle est aussi la solution la plus simple et la plus recommandable de la question d’Orient. L’avenir l’amènerait de lui-même, si les nations européennes finissaient par croire que leur intérêt est de la laisser venir. Malheureusement elles se partagent aujourd’hui encore en deux groupes, celles qui croient utile de conserver ce que l’on appelle a l’intégrité de l’empire ottoman » et celles qui croient devoir profiter de sa dissolution ; il y a en outre les indifférentes. Les premières sont la France et surtout l’Angleterre ; les secondes sont la Russie et l’Allemagne. L’Angleterre, qui se trouve maintenant en contact avec la Russie sur les mers orientales et à l’entrée nord-ouest de son empire indien, se sentirait entièrement compromise dans ses relations avec l’Inde, si les flottes russes pouvaient sur la Méditerranée lui couper le chemin de l’isthme de Suez. Cette manière de voir ne semble pas contestable. La France peut avoir un intérêt du même genre, mais moindre, puisqu’une puissance militaire russe naviguant entre l’Italie et Tunis pourrait suspendre et, en cas de malheur, anéantir le commerce de Marseille. Et si la Russie agissait d’accord avec l’Allemagne, celle-ci, en attaquant la France par terre, comme en 1870, pourrait la mettre à deux doigts