Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissance exclusive de toutes les causes où les ecclésiastiques étaient engagés, mais même la connaissance de celles qui n’intéressaient que les laïques. Ils voulaient que ses membres ne fussent jugés que par elle, et qu’elle jugeât la société civile, en réservant le dernier ressort à la cour de Rome. Pour justifier leurs prétentions, ils disaient : L’église a le droit de connaître de tous les crimes, parce que les crimes sont des péchés, — des faits qui se rapportent au mariage, à la dot, au douaire, à la séparation, à la condition des enfans, parce que c’est elle seule qui valide par un sacrement l’union conjugale, base de la famille, — des testamens, parce qu’elle ouvre à l’homme les portes de l’autre vie, — de toutes les obligations contractées sous la foi du serment, parce qu’il lui appartient de punir le parjure, — de toutes les affaires où sont intéressées les veuves, les orphelins et les mineurs, parce que Dieu lui a confié la défense des faibles et des opprimés ; enfin elle peut évoquer tous les procès, parce que dans tout procès il y a une cause injuste, et que soutenir une cause injuste est un péché. Le clergé, qui trouvait dans la juridiction universelle les élémens d’une puissance illimitée, se rallia cette fois aux doctrines du saint-siège ; mais dès la fin du XIIe siècle les rois posèrent la question de compétence par l’institution des prévôts et des baillis. Les communes et les parlemens les secondèrent dans l’œuvre de sécularisation ; cette œuvre se développa lentement et sûrement par les cas royaux et les appels comme d’abus ; la justice ecclésiastique, malgré les efforts du saint-siège pour la maintenir, s’effaça peu à peu devant la justice séculière, et dans les derniers siècles elle n’était plus pour le clergé qu’un simple tribunal disciplinaire et pour les laïques le tribunal de la pénitence.

Ainsi s’était écroulé pièce à pièce l’édifice théocratique si laborieusement élevé par le génie de Grégoire VII. Chaque empiétement de la papauté sur la société civile avait été rudement refoulé, et c’est un roi que la papauté elle-même a mis au rang des saints, c’est Louis IX, le prince de paix et de justice, qui a ouvert la voie où tous ses successeurs l’ont suivi. Nous ne parlons point de la pragmatique à laquelle on a donné son nom, quoiqu’elle soit citée par un grand nombre d’historiens modernes, car c’est une pièce apocryphe qui ne remonte pas au de la du XVe siècle ; mais à défaut de cette pragmatique on trouve encore dans ses actes des passages qui témoignent du soin jaloux avec lequel il défendit ce qu’on appelait au moyen âge les prérogatives de la couronne, ce qu’on appellerait aujourd’hui l’indépendance nationale. Ainsi en 1235, le légat étant intervenu dans un débat qui s’était élevé entre l’évêque de Beauvais et les magistrats municipaux de cette ville, le saint roi