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ce qu’il a coûté. Il n’est pas douteux que les voies de communication, en développant l’agriculture et l’industrie, accroîtront les revenus du trésor ; mais c’est là une question de temps, un problème analogue à celui « des courriers. » La Turquie sera sauvée, si son développement agricole et commercial est assez rapide pour accroître ces revenus dans la proportion des emprunts, car alors elle pourra payer sans emprunts nouveaux les intérêts de ce qu’elle devra, et si par supposition les rentrées venaient à dépasser le total des arrérages exigibles, le surplus pourrait servir à l’amortissement graduel de la dette. Ce serait là un état de prospérité où les plus florissantes nations de l’Europe ne sont pas encore parvenues. Si au contraire les produits de l’agriculture et de l’industrie, obtenus par les travaux en voie d’exécution, ne suffisent pas pour payer les intérêts des emprunts, il faudra emprunter encore, et la vache maigre dévorera la vache grasse. C’est ce qu’a senti le sultan, puisqu’il fait exécuter à ses frais, c’est-à-dire sans intérêts ni commission, le chemin de fer central de l’Asie-Mineure ; seulement il ne peut l’exécuter que par petits tronçons, à grands frais et en beaucoup de temps, et c’est pour cela que l’Angleterre lui offrait tout récemment à 6 pour 100 l’argent dont il a besoin ; l’offre était acceptable et l’intérêt fort modéré pour la Turquie, mais il paraît que le prêt était accompagné de conditions politiques inadmissibles.

Quoi qu’il en soit, il est évident qu’à l’heure présente le centre financier de l’empire ottoman n’est déjà plus à Constantinople. Les banquiers de cette ville, auxquels le sultan s’adresse quelquefois, sont ou étrangers ou associés à des banques étrangères dont le crédit soutient le leur. Les Grecs ont en général assez mal réussi dans la banque ; il n’en est pas de même des Arméniens et des Juifs, dont les établissemens, avec une apparence d’autonomie, sont étroitement liés à ceux de Londres et de Paris. Le banquier grec est timide et personnel : souvent il est commerçant et ne prête à intérêt que les fonds laissés libres par son commerce ; d’autres fois il est propriétaire ou agriculteur, et il fait, par un travail de banque, produire un intérêt accessoire à l’argent dont il dispose. L’Arménien et le Juif sont purement et simplement banquiers, et c’est eux qui sont à Constantinople les principaux intermédiaires par lesquels le gouvernement turc doit passer pour obtenir de l’argent anglais ou français. Il en reste quelque chose entre leurs mains, puisqu’ils sont commissionnaires ; mais la meilleure partie des sommes retenues est pour les grands banquiers de l’Europe. C’est donc ici qu’il faut chercher en réalité le centre financier de l’empire ottoman : ce centre est composé des maisons qui ont coutume de se concerter pour la souscription des emprunts ottomans ; la principale est la