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siècles et sur un point du globe les destinées fatalement bornées d’une nation.

Ici encore l’analogie nous paraît conduire à des conclusions bien risquées. Nous n’avons pas qualité pour discuter la théorie de M. Naudin : elle est certainement très plausible ; mais, quelle qu’en soit la fortune, elle ne peut, croyons-nous, s’appliquer légitimement à la philosophie de l’histoire. Tout autres sont les forces qui constituent les individus vivans, plantes ou animaux, et peuvent se transmettre entières ou graduellement affaiblies des ancêtres aux descendans, et ces énergies morales et intellectuelles qui produisent les formes variées de l’existence des nations. L’individu ne reçoit par l’acte qui lui donne naissance qu’une force de vie limitée ; elle se dépense et s’épuise dans ce cycle dont les phases diverses sont l’enfance, la jeunesse, l’âge mûr, la vieillesse ; mais quelles sont les bornes assignables à la force vitale d’une nation ? À vrai dire, une nation naît tous les jours ; l’énergie qui l’anime est renouvelée sans cesse et peut être indéfiniment accrue par chaque individu nouveau dans une faible mesure, et, dans des proportions plus larges, par chaque génération nouvelle. Ceux qui s’en vont lèguent en mourant, sous forme d’exemples, d’enseignement, de chefs-d’œuvre ou de bonnes œuvres, quelque chose de l’intelligence ou de la moralité qu’ils contenaient en eux, et ceux qui viennent, recueillant cet héritage, y peuvent ajouter toujours plus de connaissances, plus de justice et de charité. Et plus sont nombreux les hommes de génie et de vertu, plus grossit le trésor, plus s’augmente la somme de force vive au sein de la nation tout entière. En fait, aucun peuple ne s’est vraiment éteint de vieillesse ; beaucoup ont péri sous les coups de plus forts ; les autres sont morts parce qu’ils ont rejeté la vie. La Grèce a succombé surtout par ses dissensions intérieures ; Borne impériale fut vaincue par ses mœurs avant de l’être par les barbares. « Si bas que soient les peuples, dit heureusement M. Flint, on peut toujours leur jeter cet appel : pourquoi voulez-vous mourir ? »


III

Si l’existence d’une prétendue force vitale au sein des nations et de l’humanité ne rend pas suffisamment compte du progrès, à plus forte raison devrons-nous être en garde contre les théories qui placent au dehors, et dans ce qu’on appelle les milieux, les conditions essentielles du développement humain. Que dire par exemple de cette influence attribuée au mouvement de la terre autour du soleil et aux courans magnétiques, et qui, selon une loi formulée par