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les inondations de la garonne.

femme : c’étaient deux jeunes mariés de la veille. Les infortunés avaient célébré leurs noces au chef-lieu du canton, aux Cabannes ; ils devaient même y passer la nuit. Ils s’étaient déjà couchés lorsque le nouvel époux eut la fatale idée de rentrer à Verdun malgré la pluie ; il arriva avec sa femme vers deux heures et demie du matin ; moins d’une heure après, ils étaient morts. À quelques pas d’eux, on trouva la mère et la sœur, jeune fille de dix-huit ans arrivée de Marseille pour assister à la noce. Une scène non moins attendrissante eut lieu lors du passage du maréchal de Mac-Mahon. Une dame lui présenta un jeune garçon de seize ans, dernier survivant d’une famille de 8 personnes. Le moulin qu’ils habitaient s’était écroulé pendant leur sommeil, le lit où reposait le jeune homme, à côté d’un de ses frères plus jeune que lui, fut entraîné par le courant et flotta quelque temps à la surface des eaux. Cependant le bois de lit et la paillasse disparurent successivement, et le matelas vint se heurter à son tour contre une maison. Le choc sépara les deux frères, qui disparurent dans le tourbillon. Le jeune perdit la vie, mais l’aîné fut retrouvé dans la cour d’une ferme et put être sauvé, grâce à deux doigts de sa main, qu’on aperçut au-dessus du limon qui le recouvrait.

On sait que la Garonne prend sa source dans la vallée d’Aran, qu’elle traverse dans presque toute sa longueur, recevant ainsi toutes les eaux qui se déversent dans cet immense entonnoir. Elle entre en France au Pont du Roi, bien connu des touristes qui visitent Luchon. À ce moment, elle peut déjà porter des radeaux, et c’est à Fos, premier village français un peu en aval du Pont du Roi, que s’organisent ces grands transports qui amènent à Toulouse les bois de construction des Pyrénées. À quelques kilomètres de Saint-Béat, petite ville renommée par ses riches carrières de marbre, elle reçoit sur sa rive gauche la Pique, affluent formé par la réunion des gaves descendus des hautes cimes qui forment le cirque de Luchon. Plus loin, au sortir des montagnes de la Ba-rousse, c’est un autre affluent bien plus considérable, la Neste, qui lui apporte les eaux de la vallée d’Aure. Dès lors ce n’est plus une rivière qu’on a devant soi, c’est un véritable fleuve. En même temps commence à s’ouvrir cette vaste plaine qui, s’élargissant de plus en plus sur un parcours de 500 kilomètres, s’étend depuis le pied des Pyrénées jusqu’aux bouches de la Gironde. C’est aussi là que le 23 juin commença de se former cet immense lac aux eaux limoneuses qui, gagnant d’heure en heure les deux rives du fleuve, arrivèrent le lendemain jusqu’aux portes de Bordeaux. La Garonne, et ses affluens, grossis outre mesure par les pluies de la veille, avaient causé dans les vallées d’Aran, de la Pique et de la Neste, les désordres produits par les gaves de la Haute-Ariége ; mais c’est seule-