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affaires. Que la France soit tenue à une grande réserve, c’est tout simple, elle expie encore ses malheurs. L’Angleterre, qui est restée loin du feu, va de déboire en déboire depuis quelques aunées ; après avoir livré ce qu’elle avait conquis avec nous dans la Mer-Noire, elle semble se désintéresser de l’Orient, et, pour comble, voilà le vieux lord John Russell qui se réveille pour dire son mot, pour proposer le démembrement de l’empire ottoman, — à moins que la Russie, l’Autriche, les autres puissances, ne recueillent les charges du gouvernement des provinces de la Turquie ! Nous sommes loin du temps où un homme d’état anglais prétendait qu’il n’y avait pas à discuter avec celui qui mettait en doute l’indépendance de l’empire ottoman et de Constantinople.

Au moment où l’on croyait l’Espagne tout occupée à pousser énergiquement la guerre contre les carlistes, une crise ministérielle s’est ouverte à Madrid, et un nouveau cabinet s’est formé ou du moins l’ancien cabinet s’est modifié. Il y a quelque temps déjà que cette crise se dessinait vaguement, et M. Canovas del Castillo a dû mettre autant d’habileté que de prudence à la retarder ; elle a fini par éclater. La question qui l’a précipitée, à ce qu’il semble, était de savoir si l’élection des cortès qu’on veut réunir, se ferait d’après la loi existante, c’est-à-dire par le suffrage universel, ou si l’on ne devait pas avant tout promulguer par décret un nouveau système électoral plus restrictif. Les anciens modérés du cabinet étaient pour le décret et pour le régime restrictif, les libéraux se prononçaient pour le maintien au moins provisoire de la loi qui existe ; l’interprétation la plus libérale l’a emporté. C’est à propos de ce conflit que la crise a éclaté, et le ministère s’est reconstitué, non plus sous la présidence de M. Canovas del Castillo, qui après avoir été depuis huit mois un médiateur incessant entre les partis, a eu le scrupule de ne pas vouloir rester dans la combinaison nouvelle, mais sous la présidence du général Jovellar, ministre de la guerre. Le dénoûment de la crise n’a rien d’inquiétant sans doute, puisqu’il est la victoire de la politique la plus libérale, et qu’il maintient le caractère de la monarchie nouvelle. Était-ce bien cependant le moment de se livrer à ces luttes intimes, lorsque toutes les préoccupations devaient se concentrer sur la guerre ? De plus M. Canovas del Castillo offrait jusqu’ici le spectacle, rare en Espagne, d’un homme de l’ordre civil accomplissant une œuvre considérable, conduisant d’une main sûre les affaires les plus compliquées. C’était nouveau au-delà des Pyrénées. Aujourd’hui on semble revenir aux vieilles traditions des généraux présidens du conseil. Après tout l’Espagne n’aurait rien perdu, si le général Jovellar était resté à la tête de l’armée d’opérations contre les carlistes, et si M. Canovas del Castillo avait continué à conduire les affaires de cette jeune restauration gage d’un avenir libéral au-delà des Pyrénées.

CH. DE MAZADE.