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a dicté une lettre fort extraordinaire, et il a mis le gouvernement dans l’obligation de lui enlever sur l’heure son commandement. Voilà le fait. Si ce n’était qu’une question ordinaire de service et de discipline, il n’y aurait plus rien à dire, l’incident n’aurait point d’ailleurs fait tant de bruit ; mais il est bien clair que c’est là justement un des signes de ce mal d’anarchie qui menace de tout envahir, qui a paru cette fois se glisser jusque dans la marine sous le pavillon des regrets ou des espérances d’un parti dont les menées sont une amertume et une perturbation incessante dans nos affaires françaises.

Évidemment c’est une chose toujours grave d’avoir à frapper un chef militaire à la tête de ses forces, et c’était d’autant plus grave, ou même, si l’on veut, d’autant plus douloureux dans la circonstance actuelle que M. le vice-amiral La Roncière Le Noury passe pour un des représentans distingués de notre armée navale, que son nom reste honorablement attaché à la défense de Paris. Pendant tout le siège, il a commandé ces troupes de marine si dévouées, si courageuses, si disciplinées, avec les Pothuau, les Amet et bien d’autres encore parmi lesquels comptait M. le ministre de la marine lui-même, M. l’amiral de Montaignac. Par quelle singulière méprise l’ancien commandant de Saint-Denis, qui avait hier encore sous ses ordres l’escadre de la Méditerranée, a-t-il cru pouvoir se livrer à une démonstration de parti qui plaçait le gouvernement dans l’alternative de sévir sur-le-champ ou de paraître le complice d’une manifestation au moins étrange ? L’amiral, qui représente le département de l’Eure à l’assemblée nationale, a compté sans doute sur son titre législatif et sur son inviolabilité politique. Il a été la dupe de cette confusion de droits et de devoirs qu’on fait trop souvent quand il s’agit d’un député militaire ; il ne s’est point souvenu que, si le député peut voter comme il l’entend à Versailles, le chef militaire qui accepte d’être à la tête d’une division ou d’une escadre n’a plus d’autre devoir que d’être le serviteur du pays, l’agent fidèle et obéissant du pouvoir qui l’envoie. Encore si M. de La Roncière, en écrivant à l’organisateur du banquet impérialiste d’Évreux, s’était borné à quelque témoignage platonique de sympathie, ou même à une déclaration générale en faveur de « l’union du parti conservateur, » ce ne serait pas absolument compromettant ; mais non, que l’amiral l’ait voulu ou qu’il ne l’ait pas voulu, sa lettre va beaucoup plus loin ; elle est en vérité le procès de tout ce qui existe, de tout ce qui a été fait depuis l’avènement des « révolutionnaires du 4 septembre et de leurs sectaires. »

Serviteur du pays, M. le vice-amiral de La Roncière Le Noury ne craint pas de signaler au monde les faiblesses de notre organisation politique, et il a « la prétention que, lorsque le moment en sera venu, la France redevienne libre de son choix et reprenne ainsi dans le concert européen la place que lui interdit la formule actuelle de son gouverne-