Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux missions intimes. « J’ai demandé à M. de Bismarck, s’empressa aussitôt d’écrire à Paris M. Benedetti, ce que je devais penser de cette mission, si soudainement confiée à un général commandant des troupes en campagne. Après avoir prétendu qu’il croyait m’en avoir entretenu, M. de Bismarck m’a assuré qu’il en avait informé M. de Goltz pour qu’il eût à vous en instruire. » A la rigueur, on pouvait trouver naturel que le roi eût à cœur de plaider devant son impérial neveu les circonstances atténuantes d’une situation douloureuse qui le forçait à prendre les biens et les couronnes de plusieurs très proches parens de la maison de Romanof ; mais l’ambassadeur français était surtout frappé de la circonstance que le voyage de M. de Manteuffel eût été décidé le lendemain du jour où il avait remis son projet de traité. — « J’ai demandé au président du conseil, continue-t-il dans la même dépêche, si cet officier-général avait reçu communication de notre ouverture ; il m’a répondu qu’il n’avait pas eu occasion de lui en faire part, mais qu’il ne pouvait pas me garantir que le roi ne lui en eût fait connaître la substance. Je dois ajouter, comme je vous l’ai fait remarquer par le télégraphe, que j’ai remis copie de notre projet à M. de Bismarck dans la matinée du dimanche, et que le général de Manteuffel, qui venait à peine de reporter son quartier-général à Francfort, a été appelé à Berlin dans la nuit, suivante. » Vers la fin du mois d’août, alors que M. de Bismarck faisait voir pour la première fois ses hésitations à signer l’acte secret sur la Belgique, M. Benedetti revenait, dans une lettre à M. Rouher, sur la mission que M. de Manteuffel continuait à remplir à Saint-Pétersbourg. « On a obtenu ailleurs des assurances qui dispensent de compter avec nous, y disait-il ; si l’on décline notre alliance, c’est qu’on est déjà pourvu ou à la veille de l’être[1]. »

Le général Manteuffel resta plusieurs semaines à Saint-Pétersbourg ; il y resta assez longtemps pour y dissiper certaines tristesses nées des malheurs récens des maisons de Hanovre, de Cassel, de Nassau, etc., toutes alliées par le sang à la famille impériale de Russie, assez longtemps aussi pour donner communication de tels projets et autographes par lesquels on avait perfidement essayé de détourner le Hohenzollern de son affection loyale, inébranlable pour le parent du nord. Grâce à tous ces procédés et à toutes ces attentions, la bonne harmonie entre les deux cours devint plus grande que jamais ; on s’expliqua facilement sur le passé, on s’arrangea pour l’avenir, et l’ambassadeur de France près la cour de Berlin ne se trompa guère non plus en désignant dès ce moment « l’ours » dont le général diplomate était allé vendre la peau sur les bords

  1. Papiers saisis à Cerçay. Moniteur prussien du 21 octobre 1871.