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ne s’en félicita pas moins de voir les exigences françaises enfin formulées : « on pourrait les reprendre en temps utile ; » il ne se doutait guère de l’emploi que sur les bords de la Sprée on ferait bientôt du projet de traité du 5 août ! Il espérait en outre que la fin de non-recevoir rencontrée à Berlin donnerait à réfléchir aux ardens promoteurs des liaisons dangereuses, qu’elle empêcherait certains engagemens pour l’avenir qu’il appréhendait avant toute chose ; mais là aussi son jugement se trouva être complètement en défaut. M. de Goltz lui apprit soudain qu’il était tombé d’accord avec l’empereur sûr les annexions à effectuer par Guillaume Ier dans l’Allemagne du nord, et une lettre adressée le 12 août par le chef de l’état au marquis de Lavalette vint couper court à toute controverse avec la Prusse. « Il résulte de ma conversation avec Benedetti, écrivait Napoléon III au ministre de l’intérieur, que nous aurions toute l’Allemagne contre nous pour un très petit bénéfice ; il est important de ne pas laisser l’opinion publique s’égarer sur ce point. » Le malheur fut seulement que le gouvernement impérial lui-même laissa à ce moment égarer son opinion sur un point bien autrement scabreux, et que la Belgique devint pour lui dès lors l’objet d’une négociation aussi décevante que fatale, et dont plus tard, au début de la guerre de 1870, il devait en vain s’efforcer d’éluder la responsabilité accablante.

Que dans ces ténébreux projets sur le pays de la Meuse et de l’Escaut M. de Bismarck ait été dès l’origine le grand tentateur du gouvernement impérial, et le tentateur même longtemps repoussé, c’est là une vérité qui aujourd’hui ne peut guère être mise en doute, les documens authentiques publiés dans les dernières années suffisent pour convaincre l’esprit le plus incrédule. Ce n’est pas seulement dans ses conversations avec le général Govone que le président du conseil de Prusse a indiqué à plusieurs reprises et très clairement la Belgique et certaines parties de la Suisse comme les territoires les plus propres à « indemniser la France : » bien avant le printemps de l’année 1866, bien avant même l’entrevue de Biarritz, M. de Bismarck avait essayé de vendre la peau de l’ours,