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nez et nageaient à leur aise sur la vague écumante de la phrase. » Six jours après Sadowa, en marche sur Vienne, il écrivait de Hohenmauth : « Te rappelles-tu encore, mon cœur, que nous avons passé par ici il y a dix-neuf ans, en allant de Prague à Vienne ? Aucun miroir ne montrait à ce moment l’avenir, ni en 1852 non plus, alors que je traversais cette ligne ferrée avec le bon Lynar ! .. Pour nous, tout va bien, et nous aurons une paix qui en vaudra la peine, si nous n’exagérons pas nos demandes et ne croyons pas avoir conquis le monde. Malheureusement nous sommes aussi faciles à nous enivrer qu’à désespérer, et j’ai la tâche ingrate de mettre de l’eau dans un vin bouillant et de faire valoir que nous ne sommes pas seuls en Europe et que nous avons trois voisins. » Enfin, dans son discours célèbre du 16 janvier 1874 au Reichstag, le chancelier d’Allemagne, en parlant de ces jours décisifs, a fait l’aveu important que, « si la France n’avait alors que très peu de troupes disponibles, néanmoins un petit appoint peu considérable de troupes françaises eût suffi pour faire une armée très respectable en s’unissant aux corps nombreux de l’Allemagne du sud, qui de leur côté pouvaient fournir d’excellens matériaux dont l’organisation seule était défectueuse. Une telle armée nous eût mis de prime abord dans la nécessité de couvrir Berlin et d’abandonner tous nos succès en Autriche. » Ajoutons à cela que, l’Allemagne était encore effervescente contre la politique « fratricide » de la Prusse, que les procédés et les exactions des généraux Vogel de Falkenstein et Manteuffel avaient exaspéré tous les esprits sur les bords du Mein : il y eut un instant unique, bien fugitif aussi, il est vrai, où l’apparition des Français sur le Rhin n’eût point blessé les susceptibilités tudesques, eût même été saluée avec joie ! « Sire, disait, alors à l’empereur Napoléon III un des ministres les plus éminens de la confédération germanique, sire, une simple démonstration militaire de votre part peut sauver l’Europe, et l’Allemagne vous en gardera une reconnaissance éternelle. Si vous laissez échapper ce moment, d’ici à quatre ans vous serez forcé de faire la guerre à la Prusse, et vous aurez alors toute l’Allemagne contre vous… »

Mais l’effarement causé par les victoires prodigieuses de la Prusse fut trop grand aux Tuileries pour qu’on pût y conserver le sang-froid que réclamaient si impérieusement les circonstances. Le fusil à aiguille fut aussi une révélation qui, tour à tour exaltée ou dépréciée outre mesure par des autorités réputées compétentes, n’en contribua pas moins à augmenter les perplexités venues de toutes parts ; enfin des doutes s’élevèrent même sur la possibilité de réunir les 80,000 hommes dont parlait le ministre de la guerre : la