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impériale du 11 juin, la Prusse exigeait que l’empire des Habsbourg fût totalement exclu de la confédération germanique ; au lieu d’accorder aux états secondaires « un rôle plus important, une organisation plus puissante, » elle prétendait à l’hégémonie complète sur l’Allemagne entière, et voulait en outre exécuter de larges annexions dans les pays occupés par ses troupes. En fomentant cette guerre qui devait aboutir à des résultats si imprévus, la politique impériale avait avant tout poursuivi deux buts : l’affranchissement de Venise et le règlement équitable des affaires d’Allemagne. Venise était cédée, cédée même avant tout commencement d’hostilités, et en acceptant cette cession, en annonçant dans le Moniteur cet « événement important » après le grand désastre du général Benedeck, l’empereur Napoléon, au jugement de son ministre des affaires étrangères, était d’autant plus tenu de ne pas laisser écraser l’Autriche et ses alliés qu’il s’y agissait des intérêts vitaux de la France elle-même. Le ministre demanda en conséquence à son auguste maître de convoquer le corps législatif, d’envoyer à la frontière de l’est une armée d’observation de 80,000 hommes que le maréchal Randon se faisait fort de réunir très rapidement, et de déclarer à la Prusse qu’on occuperait la rive gauche du Rhin, si elle ne se montrait pas modérée dans ses exigences envers le vaincu, et si elle réalisait des acquisitions territoriales de nature à déséquilibrer l’Europe.

Assurément, après les expériences terribles de l’année 1870, on peut élever des doutes très légitimes sur l’efficacité des mesures proposées par M. Drouyn de Lhuys au mois de juillet 1866 ; il est bon toutefois de rappeler que le prestige de la France était encore grand et presque intact, que l’Autriche pouvait en huit jours faire revenir d’Italie 120,000 ou 130,000 soldats encore tout chauds de la victoire de Custozza, et que les troupes du général Moltke déjà commençaient à éprouver les conséquences naturelles de toute guerre même heureuse. « La Prusse est victorieuse, mandait l’ambassadeur de France près la cour de Vienne, mais elle est épuisée. Du Rhin à Berlin, il n’y a pas 15,000 hommes à rencontrer. Vous pouvez dominer la situation par une simple démonstration militaire, et vous le pouvez en toute sécurité, car la Prusse est incapable en ce moment d’accepter une guerre avec la France. Que l’empereur fasse une simple démonstration militaire, et il sera étonné de la facilité avec laquelle il deviendra, sans coup férir, l’arbitre et le maître de la situation. » Dans les lettres intimes adressées par M. de Bismarck à sa femme pendant cette campagne, on retrouve quelques traces des préoccupations qui assaillaient à ce moment son esprit, de ses efforts surtout pour parler raison aux exaltés, « aux bonnes gens qui ne voyaient pas plus loin que leur