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tantôt sévère à l’extrême pour ces malheureux, tantôt d’une singulière tolérance, suivant l’humeur des autorités. Sauf un vieillard presque imbécile que la municipalité eut la faiblesse de livrer au tribunal révolutionnaire pour avoir affiché devant sa porte un placard inoffensif, il n’y eut aucunes poursuites contre les détenus. Le caractère des habitans y répugnait. Bien que les sectionnaires les plus influens fussent toujours enfermés, leurs partisans conservaient une certaine influence dans la ville. En toutes choses, le tempérament local répugnait aux mesures de rigueur. En vain Rousselin, de retour à Paris, encourageait de loin les hommes qui avaient été ses complices. Lui-même il eut bientôt à se défendre. Les modérés, que soutenait le procureur-syndic Loyez, obtinrent enfin au mois de juillet la mise en liberté des sectionnaires enfermés sept mois auparavant. Bien plus, Rousselin et ses adhérens, au nombre de quinze, se virent cités devant le tribunal révolutionnaire comme ayant usurpé des pouvoirs, exercé des concussions, désorganisé les administrations. Acquittés après de courts débats, ils croyaient reprendre leur rôle et leur influence, lorsque survint le 9 thermidor, qui mit. fin à la terreur dans toute la France. La ville de Troyes, plus heureuse, en était débarrassée depuis six semaines ; elle n’en avait pas connu d’ailleurs les excès les plus extrêmes, grâce sans doute au bon sens, à la prudence de ses habitans. Quel spectacle avait-elle donné en effet ? Après que des émissaires venus de Paris ont épuré les assemblées électives, la résistance s’organise dans les sections ; après l’arrestation des sectionnaires, c’est la population tout entière qui résiste par l’inertie, la force qu’ont en réserve les faibles et les opprimés : aussi la guillotine dressée sur une place publique reste inoccupée ; le culte, chassé des églises, se continue en secret dans l’intérieur des maisons. Des hommes violens dans la rue, lorsqu’ils sont en présence de la foule, offrent un asile dans leur propre domicile aux suspects que la loi oblige de se cacher ; les plus bruyans en public n’ont souvent d’autre but que de se faire passer, aux yeux des révolutionnaires étrangers, pour plus méchans qu’ils ne sont. N’est-ce pas un honneur pour cette ville d’avoir su franchir une terrible crise avec si peu de mal, et depuis d’avoir traversé tant de révolutions sans que la tranquillité de la rue fût une seule fois troublée ?

Cependant Troyes se ressentait des crimes de la révolution, comme toutes les villes d’art et d’industrie. Lors de la suppression des couvens et de la fermeture des églises, on prit soin de rassembler dans un musée les tableaux, les sculptures et les livres que renfermaient les édifices religieux, mais les objets d’or et d’argent étaient livrés à la Monnaie, quel qu’en fût le mérite ; beaucoup de