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lui-même en l’abandonnant pour reprendre le service militaire dès que la guerre fut déclarée.

Si l’on veut bien se rappeler que les intendans avaient déjà des attributions plus étendues que n’en ont les préfets de nos jours, c’est-à-dire qu’ils s’occupaient de la tutelle des communes, de l’entretien des routes et chemins, du recouvrement de l’impôt et de mille autres affaires à propos desquelles, avec des pouvoirs mal définis, mais constamment soutenus par l’autorité ministérielle, ils étaient en lutte incessante contre les parlemens, les bailliages et les titulaires d’offices vénaux, on se rendra compte que ces directoires improvisés, quel que fût le mérite des membres qui les composaient, fussent dès le début au-dessous de leur tâche. Outre qu’ils cumulaient les pouvoirs exécutif et délibératif, ce qui est un tort, ils avaient au-dessous d’eux des corps municipaux, issus comme eux de l’élection populaire, jaloux d’étendre leurs prérogatives, surtout dans les occasions où la loi n’avait pas déterminé de limites précises. Ce n’était pas d’ailleurs du roi et des ministres que venait l’impulsion[1], elle venait de l’assemblée nationale ; c’était à l’assemblée aussi qu’aboutissaient les conflits, puisqu’elle s’était saisie de tous les pouvoirs. Il en advint que cette organisation nouvelle à laquelle succéda, lorsque les préfectures furent créées, un prodigieux instrument de centralisation, au contraire donna tout à l’influence locale. Chaque ville accomplit la révolution à sa manière, suivant le tempérament de sa population, ardente ici, paisible ailleurs, et trois ans après, lorsque la terreur régnait à Paris, la convention, malgré l’envoi de commissaires extraordinaires, ne put mettre en œuvre ses terribles décrets dans les provinces qu’autant que l’opinion ou les passions lui prêtaient leur appui.

A peine installés, le directoire du département et la municipalité du chef-lieu se trouvèrent en lutte. Autour de la municipalité se groupaient les partisans de la révolution, qui, sous le titre de Société des amis de la constitution, fondaient un club affilié à celui des jacobins. Ce n’étaient pas du reste des révolutionnaires bien méchans, car presque tous appartenaient au commerce ou à la bourgeoisie et même au clergé. Les oratoriens et beaucoup de prêtres séculiers qui avaient été persécutés jadis à cause de leurs opinions jansénistes se rangeaient du côté des patriotes. Il y régnait cependant un certain esprit de défiance, puisque Dampierre n’y fut

  1. Le directoire de l’Aube écrivait le 26 septembre 1790 au garde des sceaux : « Depuis que la chose publique nous est confiée, nous n’avons reçu des ministres du roi ni leçons ni encouragemens, et l’on nous a abandonnes à nous-mêmes au milieu d’un champ immense dont les routes nous étaient inconnues. Il semblait que les ministres du roi eussent pris à tâche de nous laisser tomber dans de graves erreurs pour se ménager le barbare plaisir d’y insulter. »