Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque peu sceptiques, dévoués au roi sans contredit, mais hostiles aux ministres, se montrèrent partisans décidés des réformes. Leur cahier débutait ainsi : « A la nation seule appartient le pouvoir de faire des lois, et au roi celui de les sanctionner. » Sous leur inspiration, la noblesse du bailliage abandonnait toute exemption d’impôt, sauf de la taille, considérée comme l’équivalent du service militaire, auquel elle était assujettie en tout temps ; mais elle réclamait le maintien des privilèges honorifiques, elle protestait contre les titres obtenus par l’acquisition de charges vénales. En somme, elle semblait s’être fait un idéal de gouvernement modelé sur celui de la Grande-Bretagne. Il eût été difficile de lui demander davantage. Les deux députés élus étaient le marquis de Mesgrigny, fils du grand-bailli, et le marquis de Grillon.

Dans l’assemblée du clergé, présidée de droit par l’évêque, les dissentimens furent plus graves, les discussions plus animées. On l’a vu, le clergé manquait de cohésion. Les abbés, les bénéficiers et les députés des chapitres ou des communautés, qui formaient ce que l’on appellerait aujourd’hui le parti conservateur, étaient moins nombreux que les curés de campagne partisans des réformes. La majorité se disait mécontente de voir les bénéfices, c’est-à-dire le plus clair des revenus ecclésiastiques, attribués à de jeunes nobles, les dîmes absorbées en partie par le haut clergé au détriment des prêtres sur le territoire desquels elles se percevaient, les prébendes des chapitres données à des favoris au lieu d’être réservées pour les ecclésiastiques infirmes, des évêques choisis plus à la naissance qu’au mérite et résidant plus souvent à la cour que dans leur palais épiscopal, les conciles et les synodes diocésains devenus rares. En politique, cette même majorité émettait des vœux d’un libéralisme incontestable : elle réclamait par exemple l’accession du tiers-état à tous les emplois militaires et civils ; cependant la distinction des trois ordres lui paraissait nécessaire dans une monarchie bien organisée. On peut dire en un mot que le cahier du clergé était empreint d’un esprit de corps très marqué. L’évêque et les bénéficiers en désapprouvaient la rédaction par d’autres motifs, prétendant qu’on y avait mis des articles contraires à l’honneur et aux droits de l’épiscopat. Ce qui les choqua le plus peut-être fut que l’assemblée élut pour députés, à l’exclusion de l’évêque, deux simples curés, hommes modérés du reste, qui siégèrent à l’assemblée à côté des plus timides. De cette infraction à la hiérarchie ecclésiastique ne conclurons-nous pas volontiers qu’il y avait eu des abus graves et que des réformes étaient nécessaires ? C’était au surplus une conséquence du droit nouveau que chacun admettait, et que l’assemblée d’élection du bailliage de Troyes venait de formuler dans une de ses délibérations : « personne n’est député de droit aux états-généraux ; il n’y a