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Saint-Lyé ; il fut transféré de Troyes à Auxerre en 1761. Vint alors Joseph de Barrai, parent du cardinal de Tencin, ancien conseiller au parlement et aumônier du roi. Devenu vieux, il avait obtenu pour coadjuteur, à la veille de la révolution, son neveu Louis-Mathias de Barrai, l’un des membres les plus distingués de l’église de France. On admet aisément qu’il n’y ait eu qu’un lien fragile entre ce prélat grand seigneur, ces abbés et ces chanoines pourvus de grosses prébendes et les simples curés de campagne, dont beaucoup, outre que l’évêque n’était pour rien dans leur nomination, professaient de plus une doctrine différente. De même que les curés, les membres du clergé séculier étaient accessibles aux idées nouvelles. Les oratoriens furent des premiers à saluer les réformes de 1789 ; au contraire l’évêque devait résister dès le premier jour aux empiétemens de l’assemblée nationale sur les vieilles prérogatives dont l’église était en possession.

A l’instar de la noblesse et du clergé, le tiers-état s’était organisé, s’était donné une hiérarchie. « Dans les villes surtout, nous dit M. Albert Babeau, si personne n’était libre, nul n’était isolé, chacun appartenait à une corporation qui avait ses statuts, ses prérogatives et ses droits. Après les corps judiciaires venaient les bourgeois vivant noblement, puis les avocats en cour laïque, qui précédaient les avocats en cour d’église, les médecins, les notaires, les procureurs et les huissiers ou sergens royaux. Les nombreuses corporations du commerce arrivaient ensuite ; elles avaient leurs lieux de réunion, leurs syndics, leur conseil, leurs règlemens particuliers. » Troyes, alors la seizième ville du royaume par le chiffre de sa population, prospérait par le commerce et par l’industrie. Les tisserands, les tanneurs, les bonnetiers, les papetiers, les fabricans de drap et leurs ouvriers formaient les trois quarts des habitans ; mais, si les corporations étaient favorables aux patrons qui s’élevaient par cette filière aux honneurs de l’échevinage ou de la magistrature consulaire, il est à croire que le menu peuple y faisait rarement entendre sa voix. Il était en dehors des affaires communes, dépourvu d’influence, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, où le seigneur du village et le curé étaient seuls à recevoir les plaintes des paysans. Dans cette société organisée du haut en bas sur le privilège, des institutions, efficaces sans doute à l’origine, mais vieillies sans se modifier, ne donnaient plus à chacun les garanties qu’il convient. La masse de la nation était bonne assurément, elle était digne d’obtenir des conditions meilleures. Sans distinction de classes, tous ou du moins presque tous comprenaient que de grands changemens étaient devenus nécessaires ; les privilégiés apportaient de plus un généreux esprit de sacrifice. Par malheur, personne ne savait au juste sur quelles bases il serait