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dira-t-on ; que l’on se souvienne que la mairie de Troyes, rendue charge héréditaire en 1693, fut vendue alors 50,000 livres, et que la ville la reprit treize ans après en indemnisant le titulaire. Ajoutons que Louis XIV, dans une autre année de détresse, en 1707, voulut créer dans le corps municipal une seconde charge vénale, celle d’adjoint au maire ; mais il ne se trouva personne qui la voulût payer, circonstance fort heureuse pour la ville, que l’on eût mise dans l’obligation de la racheter plus tard.

On s’en étonnera peut-être, le clergé devait, au moment de la crise, se mettre en avant avec plus d’ardeur et de décision que la bourgeoisie ; c’est que dans cet ordre les privilèges de l’ancien régime étaient encore plus abusifs. Dans une cité où les monumens religieux étaient alors plus nombreux qu’à présent, l’évêque avait une haute situation par l’étendue de son diocèse, qui dépassait les limites de l’élection, par ses revenus, qui atteignaient 70,000 livres, surtout par la tradition. Habitant une partie de l’année son château de Saint-Lyé, en dehors de Troyes, il restait peut-être trop à l’écart de son clergé. Autour de lui vivaient des vicaires-généraux, des chanoines, des abbés, tous bien pourvus ; puis venait le clergé des paroisses, subsistant péniblement des dîmes et de la portion congrue. Au surplus près de la moitié des prêtres du diocèse n’étaient pas nommés par l’évêque ; sur 372 cures, il y en avait 175 à la collation de chapitres, d’abbés, de prieurs, voire d’abbesses du diocèse ou des diocèses étrangers. Une circonstance particulière explique aussi en partie pourquoi il existait alors entre le prélat et les prêtres un défaut d’entente que la révolution mit en relief. Le siège de Troyes avait été occupé de 1716 à 1742 par Jacques-Bénigne Bossuet, un neveu de l’auteur des oraisons funèbres, qui avait pris parti pour les jansénistes et qui sans doute s’entoura des partisans de cette doctrine. Il est certain du moins que les disciples de Nicole et d’Arnaud furent alors fort nombreux dans la Champagne méridionale. Bossuet fut contraint d’abdiquer à la suite de démêlés avec son supérieur, l’archevêque de Sens. Son successeur, Poncet de la Rivière, orateur distingué, mais d’un tempérament trop vif, voulut réagir contre la prétendue hérésie à laquelle une partie du diocèse s’était abandonnée. Il n’y réussit point. Toutes les doctrines ascétiques et sévères, — le jansénisme est dans ce cas, — ont cela de commun, qu’elles inspirent de vigoureuses convictions. Les moyens auxquels le prélat avait recours étaient parfois trop violens ; ainsi il fit refuser les sacremens aux fidèles qui n’adhéraient pas à la bulle Unigenitus. La magistrature se prononça contre lui en mainte circonstance. Enfin il dut abdiquer à son tour, en 1758, après seize années de lutte. Champion de Cicé, nommé par le roi au siège épiscopal, ne parut dans son diocèse que pour habiter le château de