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son ressort, mais ils dépendent tous hiérarchiquement du patriarche, qui n’a sur eux qu’une suprématie d’honneur. Cette supériorité, qui ne constitue pas une obédience et qui n’entraîne que quelques privilèges purement ecclésiastiques, comme celui de fabriquer et de distribuer aux églises le myre employé dans le baptême, maintient entre les communautés du rite hellénique cette unité qui se confond avec celle de la race et qui suppose un avenir poursuivi en commun. Cet avenir est ce que l’on a appelé « la grande idée. » Cette idée existe toujours. Je n’examine pas en ce moment les transformations qu’elle a subies dans ces derniers temps ; mais il est certain que la pensée d’échapper le plus tôt possible à la domination musulmane réside au fond de tout cœur hellène, et que le point du monde où l’on aspire est Sainte-Sophie. Athènes est la capitale des érudits et le centre des antiques souvenirs, Athènes est le passé lointain ; Sainte-Sophie est la Jérusalem de ces nouveaux Hébreux, captifs le long des fleuves de l’Asie et de l’Europe orientale. Se séparer de cette église centrale, que le patriarche de Constantinople personnifie, c’est rompre avec l’avenir de la nation hellène, c’est l’amoindrir, l’affaiblir, lui ôter un de ses secours dans les luttes que l’avenir réserve.

La presse et les politiques de l’Occident n’ont peut-être pas apprécié à sa valeur la querelle prolongée qui a dans ces derniers temps séparé l’église bulgare du patriarcat de Byzance et fait perdre à l’hellénisme, du côté du nord, autant de terrain qu’il en aurait gagné vers le sud, si, dans l’affaire de Crète, le gouvernement du second empire ne l’avait pas impolitiquement abandonné ; Les Grecs ont ressenti avec une tristesse profonde cette double blessure, et nous, qui avons assisté aux péripéties de ces deux combats, nous avons été affligés du peu de souci qu’en a eu notre diplomatie : l’ignorance des hommes et des choses est encore ce qui la caractérise, en Orient plus que partout ailleurs. La propagande panslaviste fut l’origine de l’affaire bulgare. Le gouvernement du tsar ne se mêlait pas ostensiblement à ces intrigues, dont il savait devoir profiter, de sorte qu’il n’était jamais compromis. On connaît ce procédé, mis également en pratique par les Italiens lorsque le général Garibaldi faisait pour son compte personnel ces expéditions dont la maison de Savoie devait recueillir le fruit. Les expéditions panslavistes n’avaient aucun caractère militaire, mais le clergé bulgare, le peuple des villes et des campagnes étaient depuis longtemps gagnés par des théories, par des présens et par des promesses, lorsque éclata la rupture entre l’évêque de Widdin, Anthimos, et le patriarche byzantin qui portait le même nom. Je n’ai pas à retracer ici les détails de cette querelle, dont tous les journaux de l’Orient ont retenti ;