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ver du soleil. Une heure d’avance, le mort fut lavé, peigné, arrosé de vin ; ses enfans l’habillèrent pour la fête de la réconciliation, chacun toucha les orteils du mort, lui demanda pardon, et le yochef bessesser, cette prière suprême qui semble déchirer tous les cœurs et broyer toutes les poitrines, s’éleva, tandis qu’on partait pour le cimetière. — Puis-je vous accompagner, Jehuda ? demanda la pauvre Chaike.

— Il vaut mieux, répondit celui-ci, que les femmes ne se montrent pas aux funérailles. C’est d’elles que la mort est née. L’ange exterminateur se réjouit à leur vue et cherche de nouvelles victimes.

— Qui demande beaucoup reçoit rarement une bonne réponse, interrompit Pennina en prenant la main de la petite femme avec une sorte de compassion, aucune loi ne nous défend de suivre de loin. Viens avec moi.

Le mort, étendu sur une planche, fut porté solennellement dehors, et Jehuda eut soin que les pieds sortissent avant la tête, car, lorsque le contraire arrive, on compte bientôt un autre mort dans la maison. Le cortège était long : il n’y avait personne qui ne tînt à suivre ce juste. Devant le tombeau ouvert, on déposa le corps, le rabbin dit la prière ; alentour on nasillait un chant monotone, puis Jehuda, Baruch ensuite, et tous les autres après eux, vinrent prononcer la formule de soumission : « Dieu l’a donné. Dieu l’a repris, béni soit le nom de Dieu. » Chacun s’inclina et déchira ses vêtemens, mais en ayant soin de ne pas laisser tomber sur le mort une larme qui l’eût oppressé. Accompagné de lamentations chantées du caractère le plus lugubre, le père Konaw descendit dans son tombeau ; Rosenstock tira une serrure de sa poche, la ferma et la mit près de celui qu’il avait vénéré, en ayant soin de jeter la clé au loin par-dessus le mur du cimetière. De cette façon, il croyait éloigner la mort. Les autres, en sortant, arrachaient de l’herbe et la jetaient derrière eux sans se regarder, en murmurant : — Que ce soit la fin de la mort. Souvenons-nous que nous ne sommes que poussière.

Rentrés chez eux, Baruch et Chaike, assis sur le même escabeau, se partagèrent un œuf dur en souvenir du défunt ; pendant les sept jours de grand deuil, ils ne quittèrent pas la maison. Le huitième jour venu, Chaike dit à son mari : — Ne veux-tu pas aller chez M. de Polawski et prier le seigneur de te donner la place de notre père ?

— Non, Chaike ; ce ne serait pas là un métier de mon goût. J’aime les chevaux et la liberté. Comment pourrais-je marchander avec des pharisiens ?

Chaike n’eut garde de le contredire ; mais elle alla elle-même