Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fier, en sultan qui fait des cadeaux à sa favorite, et en tira des pantoufles de satin, une robe rose, un manteau de velours vert et deux cordons de perles.

Chaike resta muette d’admiration.

— Eh bien ! n’es-tu pas contente ?

— Je n’oserai jamais porter ces robes de princesse.

— Tu les porteras ! Je veux qu’au sabbat tu sois aussi parée que ta belle-sœur.

Elle essaya encore d’une objection timide, puis se tut, et le soir même commença de découdre, de tailler, de recoudre.

Le sabbat venu, Baruch l’emmena sur le vieux rempart où les Juifs se promenaient dans l’après-midi entre deux rangées de marronniers.

— Regardez Chaike Rebhuhn, disait-on, comme son mari l’habille magnifiquement ! Elle l’a bien gagné du reste.

Pennina vint à passer, marchant avec une majestueuse lenteur entre deux vieilles Juives fort riches. En apercevant sa belle-sœur, elle fronça le sourcil, puis, d’un air indifférent : — Elle est presque jolie aujourd’hui, mais les perles sont fausses. Baruch, qui avait entendu ces derniers mots, s’arrêta : — Les perles sont fausses en effet, dit-il, mais le cœur est de bon aloi.


III.


Le père Konaw eut la joie de recevoir un petit-fils entre ses mains tremblantes, un beau garçon que Chaike donna à Baruch et nomma de son nom. — Les gens qui n’ont pas de pain ne manquent jamais d’avoir beaucoup d’enfans, dit avec dédain Pennina. — Six mois après la naissance du petit Baruch mourut le père Konaw ; il vit sa fin venir, s’étendit sur son grabat, et, appelant son gendre : — Je m’en vais, dit-il avec un calme sublime, prometsmoi de n’abandonner jamais ta femme ni ton enfant. Maintenant va tout préparer, emmène ma fille, je ne veux pas l’entendre pleurer. — Le vieux Juif se préparait à la mort non-seulement avec courage et piété, mais avec cette observance de l’étiquette qui caractérise les Orientaux jusqu’au dernier moment. — Bientôt Baruch revint accompagné de dix hommes, pauvres gens comme lui-même, qui formèrent un demi-cercle autour du mourant. On aperçut par les fentes des cloisons la lueur de leurs cierges, on entendit prier le pieux Konaw, et la maison tout entière s’émut, le couloir fut encombré de Juifs en prière, l’escalier garni d’une grappe de femmes éplorées. Chaike, son enfant sur le bras, voulut entrer. — Il le dé-