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les écoles à la fois, cet esprit termine son roman par l’ascétisme utilitaire qui a partout été, avec le libertinage, le dernier chapitre du paganisme. Après avoir cru tour à tour aux sens, à la raison, à la théologie, il semble maintenant à bout de ressources ; il sait, surtout depuis la révolution française, que les individus ne possèdent pas plus que les clergés le don de percevoir la vérité perpétuelle ; il est réduit à l’aveu que la natura naturans est aussi invisible pour la raison spéculative que pour les yeux, et, faute de pouvoir amender ses manières invétérées de penser, il fait ce qu’il avait fait en Grèce du temps des sophistes et des sceptiques : il se retourne contre la pensée même en décidant que c’est elle qui doit disparaître. Loin d’accepter enfin le fait que les êtres vivans ont leurs lois à eux et que toutes leurs conceptions, leurs volontés, leurs perceptions, sont les résultats de leurs propres fonctions, — loin de conclure que pour éviter les erreurs où nous sommes tombés il s’agit de rectifier et d’étendre de plus en plus notre conception de la natura naturans, il proclame avec dépit que, du moment où l’absolu ne peut pas être perçu tel qu’il est, le plus sage est de le laisser dans son coin, de ne plus perdre notre temps à nous en faire une idée quelconque, et de ne songer désormais qu’à chercher un habile moyen d’obtenir directement du dehors ce que nous désirons le plus, ou la sainteté parfaite ou la parfaite connaissance des choses.

Eritis sicut dei scientes bonum et malum, écrivait Méphistophélès sur le carnet de l’étudiant. Voulez-vous être plus que des hommes, nous disent à l’envi le mysticisme et le positivisme, cessez d’abord d’être des hommes. Arrangez-vous pour détacher vos volontés de votre croyance ; étouffez en vous votre conscience, votre besoin de vous expliquer tout ce que vous êtes sujets à éprouver, aussi bien que vos autres tendances irrésistibles, et nous nous chargeons du reste. Nous vous indiquerons le sortilège par lequel vous pouvez recevoir miraculeusement la sainteté surhumaine, ou la méthode positive par laquelle vous pouvez vous procurer des connaissances qui ne viendront que des choses, et qui seront par là leur infaillible photographie, si bien que ce sera la nature seule des choses qui vous dictera, en dépit de votre propre nature, ce que vous avez à faire pour vous assurer les choses utiles. Mais cela est-il possible ? L’aveugle volonté de notre race ne regarde pas de ce côté : elle est résolue en dépit du destin à ne chercher que sa propre satisfaction. Il reste à savoir comment le positivisme a réussi à nous faire vraiment une science indépendante de toute théologie et de toute métaphysique.


J. MILSAND.