Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

égards, des hommes obsédés par un sentiment très exact de la barbarie sans foi ni loi qui se perpétue au sein des multitudes. « Comment atteindre les masses ? » lisait-on en tête d’un appel publié par le plus célèbre des trois Américains, M. Moody. Et certes l’auteur méritait d’être écouté lorsqu’il répondait : « C’est cette question-là qu’il importe de faire circuler de ville en ville, de village en village, de cœur en cœur. Que chaque homme, chaque femme, sentent que la question regarde non pas les pasteurs, les anciens, les diacres, mais lui, mais elle. Je puis payer un homme pour faire un travail, mais ma tâche à moi, je ne puis payer personne pour la faire à ma place. » Seulement, quant aux moyens d’exécution, l’auteur n’aboutissait qu’à ceci : « On demande à grands cris du nouveau, disons mieux, de la variété. Eh bien ! offrons-leur de la variété. Si nous ne pouvons les gagner par les vieilles méthodes, la ligne de conduite sensée est évidemment d’essayer de nouvelles méthodes. Et si la nouvelle amorce ne réussit, pas, essayons-en une autre, puis encore une autre, jusqu’à ce que nous ayons trouvé l’amorce qui réussit. »

C’est bien cela, l’expérimentation, la pure méthode de l’expérimentation positive, mais avec la conviction préalable qu’il doit y avoir un moyen mécanique d’amener n’importe quel résultat moral. Dans ce cas, nous avons en face de nous des expérimentalistes qui veulent que les hommes aient en eux, non pas la connaissance positive de l’engendrement des choses, mais la sainteté. Et où arrivent-ils par leurs procédés ? où arrivent du moins quelques-uns d’entre eux ? Tout simplement à reprendre sous une nouvelle forme l’ascétisme du moyen âge et son rêve de la perfection surhumaine par la mort à soi-même.

D’ailleurs c’est encore au nom de l’expérience que la nouvelle espérance se justifie. — Quand on demande à ces apôtres de la sanctification instantanée par le renoncement quelle est leur théologie, ils croient être humbles en répondant qu’ils n’en ont aucune. A les entendre, leur conviction est indépendante de toute théorie, de toute doctrine humaine qui pourrait être erronée : elle est affaire d’expérience. Ils savent, pour l’avoir éprouvé personnellement, que les choses se passent comme ils les racontent. C’est dire que, s’ils se défendent (autant que le positivisme) d’avoir aucune théologie, ils prétendent, eux aussi, par là avoir le droit d’affirmer (comme le positivisme le fait aussi) que leurs idées sont plus que des idées, qu’elles sont l’expression authentique d’un fait réel, d’un fait qui a intrinsèquement la puissance de se faire connaître tel qu’il est. L’art de saisir les faits en soi ! oui, c’est là ce que les savans et les mystiques de nos jours cherchent également, ou plutôt ce qu’ils croient également posséder, et cette agréable certitude a la même source