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d’avoir elle-même commandé le crime ne peut pas être absente de la conscience d’Hermione ; mais elle n’est que sur le seuil ; elle est arrêtée, tenue en échec, cachée dans les ténèbres par le délire de la passion qui, tout entière au désespoir, oublie la fureur de vengeance et de jalousie qui la possédait un instant auparavant.

Ces suppressions alternatives de mouvemens contraires, ce va-et-vient, ce flux et reflux, sont un des ressorts les plus habituels du théâtre de Racine, et aucun poète n’en a fait un aussi grand usage : cette oscillation est le trait caractéristique de ses héroïnes amoureuses et souvent même de ses héros. C’est dans les monologues surtout que nous voyons ses personnages aux prises avec eux-mêmes, et que les divers mobiles qui les agitent montent et descendent alternativement comme les poids d’une balance ou comme le pendule dans sa course : arrivé au terme de son oscillation, il revient sur lui-même et remonte d’où il est parti. De même, dans le combat des passions, c’est précisément au moment où l’âme semble prendre un parti pour l’une des deux alternatives et s’abandonner exclusivement à l’une des passions contraires, que l’autre à son tour commence à reprendre son empire et reparaît avec ses séductions oubliées. Est-ce l’amour qui triomphe, voici bientôt la haine qui reparaît ; est-ce la haine, l’amour se fait entendre. Racine est passé maître dans la peinture de ces contradictions. Il les connaît si bien, cette loi lui est si familière qu’on pourrait presque dire qu’il s’en est fait un procédé. Quiconque comparera ses différens monologues en trouvera la coupe singulièrement semblable ; c’est toujours le oui et le non se combattant l’un l’autre et se remplaçant alternativement. Le héros ou l’héroïne vont-ils prendre un parti, on est sûr que leur imagination va leur suggérer immédiatement le parti contraire ; s’abandonnent-ils à celui-ci, le premier revient immédiatement jusqu’à ce que ce va-et-vient s’arrête, et qu’une circonstance décisive fasse pencher la balance une dernière fois.

Prenons pour exemple le monologue d’Hermione. Le trouble de l’âme est indiqué dès les premiers vers :

Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ?


Cependant il semble que la haine domine, car l’offense est toute récente :

Le cruel ! de quel œil il m’a congédiée !


Et cependant la tendresse combat pour lui,

Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce.