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désir d’indépendance, à l’impatience de la domination, à la vanité froissée qu’il s’adresse. Il lui montre Burrhus comme Sénèque, comme Agrippine, se disputant le gouvernement de sa volonté, et exerçant l’empire sous son nom ; il.lui montre par ce dernier coup leur puissance abaissée. « Vous seriez libre alors. » Dès lors Britannicus est condamné. Le futur tyran a rompu tous ses freins ; mais il n’ose pas s’avouer à lui-même tout haut cette terrible résolution ; il la dissimule sous une feinte incertitude.

Viens, Narcisse, allons voir ce que nous devons faire.


Pour résumer toute cette évolution psychologique, la scène que nous venons d’analyser nous montre le passage d’une résolution à une autre. Au début, Néron a renoncé à la mort de Britannicus ; à la fin, il l’a décidée ; mais ce n’est pas de lui-même qu’il passe du premier état de conscience au dernier : c’est par une suite d’instigations qui de proche en proche, en secouant son âme, font reparaître à la surface la pensée supprimée. Néron ne s’aperçoit pas qu’il est le jouet d’un autre. C’est par une suite d’associations d’idées que Narcisse finit par en venir où il a résolu. Le nom de Britannicus ne suffit pas d’abord, celui de Junie pas davantage, celui d’Agrippine est décisif ; mais il faut encore écarter celui de Burrhus. Par ces diverses étapes, Narcisse réussit enfin à toucher l’endroit sensible, et, comme le dirait Leibniz, toutes les petites velléités qui se combattaient jusque-là ont fini par se réunir et se fondre dans une volonté dernière et prévalente.

La loi de suggestion se comprendra mieux, si on la compare à une autre loi qui lui ressemble, mais qui s’en distingue, la loi de persuasion. Celle-ci s’adresse à la partie intelligente et rationnelle de l’âme, celle-là à la partie machinale. La persuasion nous présente la chose elle-même, et nous apprend à la choisir pour elle-même, soit parce qu’elle est vraie, soit parce qu’elle est belle, soit parce qu’elle est bonne. La suggestion a pour caractère au contraire d’écarter l’idée même de l’objet pour n’en présenter que les accessoires et les circonstances sensibles qui nous y mènent à notre insu. Ces deux états de conscience sont parfaitement opposés l’un à l’autre dans les deux scènes de Britannicus, qui se succèdent : celle de Burrhus et celle de Narcisse. L’un et l’autre en effet essaient de persuader Néron, mais l’un d’une manière directe, l’autre d’une manière indirecte, l’un s’adressant à la raison et au cœur, l’autre à l’imagination et aux passions, l’un montrant hardiment le but, à savoir le bien, l’autre dissimulant au contraire ce but, à savoir le mal. Le premier n’a rien à craindre, et il peut dire tout haut :