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avaient donc peut-être bien fait de modifier le ton trop cru et trop intime des entretiens que Pascal tenait avec lui-même ; mais nous faisons bien à notre tour de restituer autant que possible cette parole superbe dans toute sa familiarité, dans tout son imprévu.

Quoi qu’il en soit, la découverte faite sur les Pensées de Pascal en suggéra bientôt d’autres du même genre. C’est ainsi qu’on s’aperçut que le texte des Sermons de Bossuet, publiés en 1772 par dom Deforis, n’avait pas été beaucoup plus respecté par lui que ne l’avait été celui des Pensées par les amis de Pascal. La même vérité fut démontrée sur les Mémoires de Saint-Simon, puis sur les Lettres de Mme de Sévigné. Dans certains écrits, on reconnaît la main non plus seulement d’amis timorés ou d’éditeurs scrupuleux, mais de vrais falsificateurs, par exemple dans les Lettres de Mme de Maintenon, dues en partie à l’habile plume de La Beaumelle[1].

Ce serait s’exagérer beaucoup la portée des considérations précédentes et pousser le scepticisme jusqu’à l’absurde que de supposer chez tous nos écrivains classiques des altérations aussi profondes que celles que nous venons de signaler. Il va sans dire que les œuvres publiées du vivant des auteurs et par eux-mêmes sont à l’abri de pareils soupçons : ces œuvres sont trop récentes d’ailleurs pour avoir permis des interpolations ; mais d’une part, parmi nos monumens classiques, un assez grand nombre, tels que les mémoires ou les correspondances, ont été publiés après la mort de leurs auteurs ; de l’autre, averti par les infidélités précédentes, on s’est aperçu que les éditions de nos classiques, en se multipliant et en s’éloignant de la source, avaient toutes été plus ou moins altérées sinon dans le fond, du moins dans le style et dans la langue, et qu’il y avait lieu à une nouvelle révision de textes, semblable à celle qu’ont faite les grands érudits pour les auteurs anciens. A défaut de manuscrits, que l’on consulte quand on le peut, ce seront tantôt les premières éditions, tantôt les dernières, quand elles ont été revues par l’auteur, qui serviront de type et d’autorité. A un texte sévèrement revu s’ajoutera tout ce que l’on pourra retrouver de documens inédits, car, si l’on ne peut en général considérer comme classiques que les œuvres achevées et composées, cependant tout document, quel qu’il soit, lettres, notes, programmes, est important, et peut être nécessaire pour l’intelligence complète et l’interprétation d’un auteur, pour nous faire connaître sa manière de travailler, ses études, son caractère, etc. C’est ainsi que les notes de Racine sur les tragiques grecs, et celles de Bossuet sur

  1. On a falsifié jusqu’au lettres de Voltaire, comme l’a démontré M. Courtat à propos des lettres, assez peu intéressantes d’ailleurs, de Voltaire à l’abbé Moussinot (1875).