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raconte que dans son enfance il s’affligeait en secret de l’ingratitude de ses compatriotes envers le héros chérusque qui les a délivrés du joug des Romains. Il sentit qu’une destinée pesait sur lui, qu’il avait reçu du ciel la mission d’acquitter la dette nationale, y compris les arrérages et les intérêts des intérêts. Dès 1819, il avait presque arrêté son plan et fait son devis. Il lui a fallu plus d’un demi-siècle pour mener son œuvre à bonne fin. Ce qu’il a dépensé à cet effet de patience, de volonté, d’obstination germanique, aurait suffi pour découvrir les sources du Nil, pour percer deux isthmes, pour creuser trois tunnels internationaux.

Ce fut en 1837 que M. de Bandel parcourut dans tous les sens la forêt de Teutoburg, théâtre des exploits d’Arminius, pour y chercher l’emplacement le plus convenable à la bâtisse idéale et gothique qu’il rêvait. Il fixa son choix sur la Grotenburg, sommité voisine de Detmold ; il s’y construisit une cabane où il passait des saisons entières. Les vieux chênes de la forêt, les corneilles et les choucas étaient les seuls confidens de ses longs entretiens avec la grande ombre chérusque, des déclarations passionnées qu’il lui adressait, des sermens qu’il lui faisait de la sauver à jamais des injurieux oublis des hommes. De temps à autre, il redescendait de son Sinaï pour organiser une nouvelle quête, et à peine avait-il recueilli quelques thalers, il ajoutait une pierre à son édifice. Hélas ! les cœurs étaient tièdes les thalers étaient rares. L’avare Allemagne serrait les cordons de sa bourse, elle estimait qu’Hermann pouvait attendre, qu’il était un véritable bourreau d’argent ; elle réservait sa faveur pour d’autres saints plus discrets, qui se contentaient d’un culte plus modeste et faisaient des appels moins fréquens à ses libéralités. C’était le temps où le plus irrévérencieux des poètes décourageait toutes les grandes pensées et toutes les nobles entreprises par ses criminels persiflages. « Voici, disait-il, la forêt de Teutoburg, dont Tacite a fait la description. C’est là le marais classique où Varus est resté. C’est là que se battit le prince des Chérusques, Hermann, la noble épée ; la nationalité allemande a vaincu sur ce terrain boueux, dans cette crotte où s’enfoncèrent les légions de Rome. Si Hermann n’eût pas gagné la bataille avec ses hordes blondes, il n’y aurait plus de liberté allemande, nous serions devenus Romains. Dans notre patrie régneraient maintenant la langue et les coutumes de Rome. Les Souabes s’appelleraient Quirites, il y aurait des vestales même à Munich… Dieu soit loué ! Hermann a gagné la bataille, les Romains furent défaits, Varus périt avec ses légions, et nous sommes restés Allemands. Nous sommes restés Allemands et nous parlons allemand. L’âne s’appelle esel et non asinus ; les Souabes sont restés Souabes. O Hermann ! voilà ce que nous te devons ; c’est pourquoi, comme bien tu le mérites, on t’élève un monument à Detmold ; j’ai souscrit moi-même pour cinq centimes. »

Hermann à triomphé des railleries de l’Aristophane allemand. Le 17 juin 1846, il ne manquait plus une pierre an soubassement