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victoires remercieront-ils le ciel, ces pèlerins allemands ? Ce point serait curieux à éclaircir. De Paris, ils iraient porter à Notre-Dame-de-Lourdes une superbe bannière brodée, représentant le patron de l’Allemagne catholique, un beau saint Boniface tout neuf, de grandeur naturelle. Qu’ont-ils à dire de si particulier à Notre-Dame-de-Lourdes qu’ils ne puissent le dire tout aussi bien à Notre-Dame-du-Capitole à Cologne ? Ce qui ne peut se dire à Cologne, il serait fâcheux pour la France qu’on vînt le dire chez elle : ce n’est pas d’hier que M, de Bismarck s’est fait fort d’apprendre à l’Europe ce qu’il faut entendre par une querelle d’Allemand ; saint Boniface est trop bon, la France n’est point jalouse d’avoir part à ses dangereuses confidences. En vérité, jusqu’à des temps meilleurs, elle peut très bien se passer de sa visite. Elle n’a guère à se louer de lui ; quel service, lui a-t-il rendu ? Si nous jugeons de sa conduite par celle qu’il a dictée à ses fidèles de Munich et de Westphalie, après avoir marmotté pour la forme quelques vaines protestations, l’odeur de la poudre l’a grisé, il a pris plaisir aux hurlemens du canon de Sedan, il n’a eu garde d’intercéder pour que les vaincus obtinssent de meilleures conditions, la carte à payer lui a paru fort raisonnable, l’Alsace annexée l’a mis en joie, il a été le premier à offrir au conquérant le diadème impérial. Non, il n’y a pas de raison pour que la France se félicite de recevoir chez elle ce saint équivoque. Lui-même, à peine aura-t-il atteint les bords de la Seine, il aura le mal du pays, il se prendra à soupirer après sa crypte de Fulda.

Si saint Boniface a conçu le bizarre projet de faire en France un pèlerinage, bannière déployée, il se pourrait que cette fantaisie lui eût été. inspirée par le chagrin et le dépit qu’il a ressentis dernièrement, en voyant inaugurer sur le sommet de la Grotenburg le culte d’un nouveau saint fort rébarbatif, jadis prince des Chérusques et qui l’an 9 de l’ère chrétienne massacra dans la forêt lippoise trois légions romaines commandées par Quintilius Varus. L’Allemagne n’avait jamais entièrement oublié son Arminius ou son Hermann ; il avait été chanté par quelques-uns de ses poètes, par Klopstock en particulier, qui profita d’une si belle occasion pour faire un chef-d’œuvre de plus dans le genre ennuyeux, où il était maître. Cependant, Arminius ne jouissait pas encore dans son pays de ce qu’on peut appeler une grande situation ; il n’avait pas reçu les honneur divins ou du moins il ne figurait que parmi les petits dieux. La gloire de réparer cette injustice était réservée à un sculpteur bavarois, M. Joseph Ernst von Bandel, né à Ansbach le 17 mai 1800. Redoutables, a-t-on dit, sont les hommes qui n’ont lu qu’un livre, plus redoutables encore ceux qui n’ont qu’une idée. M. de Bandel est un de ces hommes qui ne se permettraient pour rien au monde d’avoir deux idées, ni à la fois, ni l’une après l’autre. Il avait résolu d’élever à la gloire d’Arminius un monument immortel et colossal ; à cette pensée il a consacré toute sa vie, tout ce qu’il avait de forces et de talent. On