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des funestes ambitions, des haines inutiles, de l’esprit de contention et de chicane. Par malheur, je ne sais quel vent souffle sur l’Europe depuis quelques années, mais ce sont précisément les saints acariâtres, querelleurs et pernicieux qui sont aujourd’hui le plus chômés. On leur prodigue les honneurs et l’encens. Il en résulte que les fêtes pacifiques sont devenues une exception. On se réjouit bruyamment, non pour se faire plaisir, mais pour faire pièce au prochain ; sous prétexte de se donner à soi-même une sérénade, on donne à son voisin le petit régal d’un charivari. Il y a bien paru dans plusieurs des fêtes qui ont été célébrées tout récemment.

Certes ce n’est point à la seule fin d’honorer la mémoire d’un éloquent orateur qu’on vient de fêter avec tant de tapage à Dublin le centième anniversaire de la naissance d’O’Connell. Ce grand virtuose de la parole mérite de n’être pas oublié, et il est bon de se souvenir que pendant de longues années il a combattu sans relâche pour cette grande cause de l’émancipation des catholiques, à laquelle se sont ralliés tous les libéraux anglais. Les victoires que remporte la justice dans ce monde sont dignes d’être commémorées ; mais ce n’est point le défenseur de l’égalité des cultes devant la loi dont le souvenir est demeuré cher au clergé irlandais. Cette égalité a été mainte fois condamnée par la curie romaine ; c’est une de ces propositions hérétiques, malsonnantes et téméraires dont la révolution française a infecté le monde, car il n’est pas une seule hérésie qu’elle n’ait prise sous son patronage, elle a commis tous les crimes de l’esprit. Les archevêques et les évêques d’Irlande consentent à oublier qu’O’Connell fut un libéral, ils passent obligeamment l’éponge sur cette tache. Ils ne voient plus dans Tiberius Gracchus que le fils pieux et soumis de l’église, l’implacable adversaire des prérogatives anglicanes. En honorant sa mémoire, ils entendaient se donner le plaisir d’offrir à leurs invités un banquet où l’on porterait d’abord la santé du pape, la santé de la reine d’Angleterre ne venant qu’après. Ils avaient compté sans un hôte indiscret qui est venu les déranger dans leurs ébats. Le parti des démocrates irlandais et des home rulers fait passer la religion après la politique, et sa politique est révolutionnaire. S’ils reconnaissent O’Connell pour leur patron, c’est qu’après avoir obtenu l’émancipation des catholiques, le grand agitateur a employé les dernières années de sa vie à prêcher le rappel de l’édit d’union et l’indépendance de la verte Erin. Or les prélats irlandais, qui entendent fort bien leurs intérêts, se soucient fort peu de voir la verte Erin devenir indépendante ; ils auraient beaucoup plus de peine à s’accommoder d’une république feniane que d’une monarchie hérétique à la vérité, mais tolérante et même bienveillante. Comme le remarquait une revue anglaise, il est heureux pour son éminence le cardinal Cullen que la plupart des prélats étrangers qu’il avait conviés aux fêtes de Dublin n’aient pu se rendre à son appel ; il voulait leur donner le spectacle