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décelât l’approche du conférencier. En ce moment passait entre les bancs un respectable vieillard qui tenait en main un volumineux paquet de brochures ; sitôt qu’il m’aperçut, il devina sans doute un profane et s’élança vers moi, non pour m’expulser, mais pour me tendre un exemplaire, que je pris avec gratitude. Le titre me fit voir immédiatement que je n’étais pas tombé sur une variété de la National sunday League ; par malheur, il faisait tellement sombre dans la salle que je pus à peine lire ces en-têtes alléchans : « l’âge de la lumière, — le Dieu de la nature, — les mariages humanitaires, — quinze points de la religion de Dieu. » Cependant, comme la jeune pianiste venait de commencer son quatrième morceau, je perdis patience et résolus de battre en retraite avec mon butin, sans chercher davantage à savoir quelle était, au point de vue « humanitaire, » la condition sociale des aveugles. J’emportai au reste de quoi m’éclairer suffisamment sur le but et les travaux de la Humanitarian Society, mais quel ne fut pas mon étonnement en retrouvant, sous les théories prêchées dans ce music hall de Pentonville, le système de Pierre Leroux, qui, comme on sait, prétendait dégager de la philosophie païenne et même chrétienne la croyance à une transmigration des âmes dans les limites de l’humanité terrestre ! Les humanitaires touchent peut-être davantage au panthéisme, en ce qu’ils définissent Dieu « un être éternel et indivisible, dont l’essence pénètre tout l’univers sous la double forme de matière et d’esprit ; » mais leur théorie sur l’âme reproduit exactement les hypothèses du réformateur français.

Outre l’exposé de la « religion de Dieu, » la brochure contenait des dissertations et des controverses assez curieuses, — une profession de foi qu’il suffisait de signer « consciencieusement, » pour acquérir « le titre et les droits d’humanitaire, » — quelques paroles de gratitude envers le « Dieu de la nature, » intitulées la Prière des Humanitaires, — des extraits de lectures en plein air, « surpassant et remplaçant les quatre premiers chapitres du Nouveau-Testament, ainsi que le Sermon sur la montagne, » — enfin des rites pour la « solennisation humanitaire du mariage. » Il paraît que ces rites ont été appliqués pour la première fois, il y a deux ans, à l’union de M. Kaspary, le principal apôtre, sinon le fondateur de l’humanitarisme, avec la fille d’un de ses coreligionnaires. Seulement, comme la législation civile, qui n’est pas encore « humanitarisée, » ne reconnaît pas les mariages célébrés dans le temple musical de Claremont hall, force fut aux conjoints d’emprunter pour la circonstance la chapelle déiste de Finsbury square, où M. Moncure D. Conway a su se mettre en règle avec la loi.

Le phénomène le plus étrange, ce n’est pas qu’un individu invente ou formule des systèmes hypothétiques comme