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de l’épicycle, ou plutôt du progrès indéfini, qui, en religion comme en astronomie, doit remplacer les anciennes conceptions fondées sur l’immutabilité du monde physique et moral. C’est à ce but qu’il veut travailler en enseignant une religion fondée sur les données de la science moderne, la religion du progrès et de l’avenir ! »

M. Moncure Conway, autant que nous avons pu saisir ses doctrines, part de ce fait, qu’un instinct nous force à rendre hommage au principe supérieur généralement compris dans la notion de Dieu ; mais il croit en même temps qu’on ne doit pas définir cette notion, ni lui prêter des attributs déterminés par peur de l’enfermer dans quelque formule demain peut-être en désaccord avec les nouvelles constatations de la science. Il repousse également la prière, d’abord parce qu’il y voit une invitation illogique à changer le cours des lois naturelles, en second lieu, parce qu’en invoquant la Divinité, on semble lui attribuer des organes ou tout au moins des sentimens analogues aux nôtres. Aussi, dans ses méditations, s’il parle souvent de Dieu, jamais il ne l’interpelle directement pour l’adorer ou le bénir, et, parmi les Hymnes et Antiennes qui forment tout son rituel, il m’a déclaré lui-même choisir de préférence les compositions qui évitent de mettre en scène un Dieu personnel et conscient.

Il semble qu’il y ait là des scrupules exagérés. M. Conway confond la personnalité avec l’individualité divine. Qui donc ira s’imaginer Dieu pourvu d’yeux et d’oreilles, d’un cerveau et d’un cœur, en un mot d’une organisation taillée sur la nôtre, parce que, dans un élan d’émotion religieuse, on aurait fait appel à la souveraine intelligence ou à la suprême bonté de l’être divin ? Le révérend Charles Voysey ne peut être suspect sous ce rapport, car il m’a affirmé à moi-même qu’il cesserait de prier, s’il croyait Dieu capable de se rendre à ses prières. Cependant M. Voysey, comme le docteur Perfitt, comme les unitaires et les free christians, a maintenu la prière dans sa liturgie, parce qu’il y voit une satisfaction donnée à une inspiration instinctive et partant rationnelle de l’âme, une sorte de communion intime entre la nature divine et la nature humaine. Comme le dit un des plus fidèles disciples de ce Krause qu’on a pourtant accusé de panthéisme, M. J. Tiberghien, dans sa Psychologie expérimentale, « à quelque système philosophique qu’on s’arrête, il faut reconnaître avec les théologiens de tous les temps que le sentiment religieux s’adresse non à une vague substance, mais à un être doué de la conscience et du sentiment de soi. Si l’on fait abstraction de la personnalité divine, l’amour de Dieu est sans objet. » Aussi peut-on se demander si, en supprimant la prière de sa liturgie, M. Conway, malgré la vague religiosité de ses hymmes et de ses méditations, ne franchit pas la dernière