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boutiques de comestibles laissaient passer un jet de lumière à travers leur porte entr’ouverte. Le long des trottoirs circulaient des charrettes à bras où les maraîchers vendaient leurs produits à la clarté d’une chandelle vacillante, qui jetait sur le visage des acheteurs des reflets à la Rembrandt. A chaque coin de rue, des groupes stationnaient autour de quelques orateurs en plein vent. Ici c’était un prédicateur méthodiste, à la longue barbe et aux grands gestes, s’efforçant de surexciter les sentimens religieux de ses auditeurs par des tirades pathétiques agrémentées d’historiettes édifiantes ; là, deux représentans de sectes rivales s’écrasaient tour à tour à coups d’argumens bibliques avec un ordre et un calme qu’il faudrait souhaiter à toutes les controverses parlementaires. Parfois toute l’assistance entonnait un hymne dont les paroles modulées couvraient les bruits de la foule. Et dire que je me trouvais au centre de Londres, en plein XIXe siècle !

Un dimanche soir, M. Moncure Conway, sur qui j’aurai à revenir plus loin, me conduisit, près de la station de Cower street, à l’entrée d’un caveau où se réunissait une congrégation d’advanced unitarians. Les unitaires avancés présentent cette particularité qu’après le service la chapelle se transforme en salle de discussions et que le sermon du ministre est abandonné aux commentaires successifs des fidèles : on devine ce que deviennent les récits et même les préceptes de la Bible livrés aux hasards d’une pareille controverse ; mais il n’y a rien là que de très conforme au tempérament éminemment théologique de la nation anglaise.

D’ailleurs une église, constituée sur une base aussi large que l’unitarisme actuel, doit nécessairement comprendre des opinions religieuses fort éloignées les unes des autres, — et à nos yeux c’est même là son principal titre. — Ainsi il est certain qu’on trouve encore parmi ses fidèles des esprits disposés à reconnaître le miracle et la révélation. Au temple de Little-Pordand street, une partie de la congrégation s’agenouille à certains passages du service et l’on y célèbre régulièrement le sacrement de la communion, non pas, bien entendu, avec sa portée mystique, mais du moins à titre de banquet fraternel et commémoratif. D’autre part on rencontre certaines congrégations d’unitaires n’ayant plus de chrétien que le nom. Telle semble, entre autres, l’église de Clerkenwell, du moins à en juger par la prédication de son ministre, le révérend Peter Dean. Celui-ci déclare en effet prendre, pour toute théologie, « la foi en un Dieu infiniment parfait, » — pour révélation a l’univers, » — pour Bible « les manifestations de la nature, ainsi que la littérature sacrée de tous les temps et de tous les pays, » — pour Christ a le bien incarné dans l’humanité, » — enfin pour seuls sacremens