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n’avait peut-être pas un extérieur aussi typique que le ministre de la chapelle de Portland street ; mais il parlait avec clarté, chaleur et onction. Après avoir cité un texte de saint Paul relatif aux dissensions des premiers chrétiens, il fit observer que beaucoup de ces anciennes disputes théologiques nous semblent aujourd’hui ridicules et absurdes, d’où il conclut qu’il en serait de même dans quelques siècles au sujet de nos propres querelles dogmatiques. Malheureusement nous ne pouvons en juger nous-mêmes avec les yeux de la postérité. Il est donc sage de nous borner à suivre le conseil que saint Paul donnait aux controversistes de son temps. « Suivez Jésus et vivez la vérité. » Ce qui fait la supériorité du Christ, c’est qu’il a enseigné la loi d’amour, c’est qu’il a mis l’esprit au-dessus de la lettre. Aussi se trompe-t-on en faisant de la foi aux miracles un élément nécessaire de la religion chrétienne ou en se refusant à admettre le christianisme sans la croyance à la divinité de son fondateur. — On voit qu’ici encore le sermon était en quelque sorte le résumé des vues adoptées par la congrégation.

Cependant le prédicateur ne relevait pas lui-même de l’unitarisme. C’était le révérend Picton, de l’église indépendante. Les indépendans sont une branche détachée de l’église anglicane, qui en diffèrent simplement parce qu’ils repoussent toute attache officielle. On peut juger, par l’exemple du révérend Picton, de ce qui se passerait au sein de l’anglicanisme, s’il venait à perdre le caractère d’église établie, ou même s’il renonçait un jour à la barrière dogmatique des 39 articles. S’il faut en croire une anecdote qui m’a été rapportée, la première fois que le révérend Picton s’entendit avec un ministre unitaire pour un de ces « échanges de chaires » assez fréquens parmi les églises dissidentes, il étonna sa nouvelle congrégation par la hardiesse de son langage, alors que son collègue surprenait au contraire ses auditeurs indépendans par la timidité de son argumentation. Sans doute celui-ci avait cru devoir choisir le plus orthodoxe et celui-là le plus hardi de ses sermons, dans la pensée de se mettre respectivement au niveau de leur public ; mais il n’en ressort pas moins la difficulté d’établir une distinction bien nette entre les élémens les plus rapprochés des différentes églises qui en Angleterre vont graduellement du ritualisme semi-catholique aux dernières limites du rationalisme religieux.

En sortant de la Free Christian church, je pris un omnibus que je quittai à la station de Portland-Road, pour regagner pédestrement mon domicile. De toutes parts les innombrables chapelles du quartier dégorgeaient leurs congrégations sur la voie publique. Une foule nombreuse et mélangée, mais décente et tranquille, emplissait la grande artère de Portland street, qu’éclairait à peine la longue file de ses réverbères. Çà et là des débits de boisson et des