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la souplesse et la force ; l’archer en fut si fier, qu’il le fit sculpter curieusement ; mais à l’usage, l’arc, trop orné, se rompit. C’était à nous, Français, que s’adressait l’apologue. Faisons-le mentir ; sachons quitter les douceurs du sol natal, nous détacher des jupes. À ce prix, l’arc nerveux pourra encore lancer la flèche.

Dans la vie publique, le haut commerce fait déjà pressentir son rôle. M. Guizot, trop Français en ceci, faisait deux parts de notre vie : l’une, la meilleure, que nous gardons pour nous, l’autre que nous mettons en commun sous l’impulsion de l’autorité centrale. Le problème en France est de trouver un principe d’association qui dépasse les bornes étroites de la famille et qui n’embrasse pas du premier coup le cercle trop vaste des intérêts généraux. Le commerce résout tous les jours ce problème. Il dispose les hommes à mettre spontanément en commun une partie de leurs actes et de leurs facultés en vue d’un résultat déterminé. Non-seulement les capitaux, mais les bonnes volontés s’unissent. Les fondations privées se multiplient ; des groupes indépendans, sociétés industrielles, chambres syndicales, etc., se forment pour la discussion des intérêts commerciaux et donnent à chacun le goût de s’occuper de ses propres affaires, — disposition nouvelle chez nous, que le despotisme a favorisée dans son aveuglement, et qui déjouera toujours en France les calculs du despotisme. Les âmes ne se divisent pas, et quand elles prennent goût à l’indépendance, elles en mettent tôt ou tard dans la politique.

On peut regretter que l’individu se dépense davantage au dehors et néglige son for intérieur, on peut avoir des préférences pour l’esprit de sacrifice, même quand il est commandé par une injonction de l’autorité ; mais il y aura désormais quelque chose entre les petites démarches de la vie privée et le jeu trop vaste des intérêts généraux ; c’est un principe d’action bien humble au début, s’adaptant merveilleusement à toutes les situations et pouvant servir les plus larges desseins : il prendra le citoyen chez lui et l’amènera sur la place publique par le chemin des affaires ; il lui enseignera le droit de contrôle, non plus départi à quelques élus ou exercé théoriquement par la presse, mais appliqué chaque jour par les hommes laborieux dans le cercle d’une association plus restreinte. Que ces vérités se répandent, et la cause du commerce extérieur est gagnée : des préjugés de race ou de classe entravent seuls l’essor commercial d’un pays dont les ressources sont infinies et les institutions libérales.


RENE MILLET.