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Dalmatie qui suivaient la liturgie latine reçurent d’un de leurs prêtres un autre alphabet imité en partie des lettres cyrilliennes et en partie des lettres latines. On a voulu en faire remonter l’origine jusqu’à saint Jérôme. Cet alphabet est connu sous le nom de bukvitzien ou glagolitique de l’appellation que reçoivent dans l’alphabet slave les lettres B et G. Les formes de cet alphabet s’éloignent assez sensiblement des figures cyrilliennes, la disposition rectangulaire ou circulaire y est plus habituelle : aussi saisit-on moins au premier coup d’œil l’origine grecque de plusieurs de ces lettres.

Tel est, rapidement esquissé, l’ensemble des écritures ayant pour ancêtre commun l’alphabet qu’avaient imaginé les Phéniciens sous l’influence de l’Égypte. Ces alphabets constituent comme une suite de générations qui se répartissent par familles, par branches et par rameaux, qui, s’étant détachés à des hauteurs différentes d’une même souche, ont projeté sur des espaces plus ou moins étendus leur feuillage destiné non à empêcher la lumière de pénétrer, mais à en assurer la diffusion.


III

Les alphabets que nous venons de passer en revue ne diffèrent pas seulement, comparés les uns aux autres, par la nature et le nombre des lettres ? on voit encore varier pour un même alphabet la configuration des caractères selon les époques et le genre d’écrits auxquels ils sont appliqués. Chaque alphabet a eu son histoire et a passé par des transformations ici légères, là fortement accusées. Les lettres ont eu les destinées les plus diverses, l’existence de ces signes s’étant trouvée liée aux habitudes des scribes et aux procédés employés pour le tracé. Tandis que certains alphabets n’ont fourni qu’une courte carrière, d’autres ont duré pendant des siècles, ont opéré d’incessantes conquêtes, car la nation qui exerçait sur ses voisines la prépondérance intellectuelle imposait sa langue et sa littérature et en même temps son écriture. Aussi peut-on dire avec quelque vérité que le degré d’extension d’un système graphique est proportionnel à la puissance du peuple auquel il appartient. Les religions ont été aussi de grands moyens de propagation graphique ; en répandant leur enseignement, elles ont répandu l’écriture de leurs livres. De même que la prépondérance d’une nation ou d’une religion a fait place à celle d’une autre, tel mode d’écriture d’abord fort usité a été dépossédé par un mode différent qu’apportait un peuple conquérant ou un culte nouveau. Ainsi ce sont les établissemens phocéens dans la Gaule qui y ont fait pénétrer la connaissance et l’usage des caractères grecs que devait plus tard supplanter l’alphabet latin, apporté par les Romains. Les Grecs