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dit, l’abandon des idéogrammes, des images simples ou prises dans un sens tropique ; les unes et les autres concoururent à fournir les élémens de l’écriture, mais, comme rien ne les distinguait extérieurement, comme un même signe pouvait tour à tour répondre à une idée ou à un son, il en serait résulté une extrême confusion, si l’usage n’avait consacré pour de certaines images une valeur presque exclusivement phonétique ; celles-ci, en perdant leur rôle idéographique, devenaient de simples lettres. Les Chinois ne firent pas subir à leurs idéogrammes un pareil changement d’attribution ; ils se contentèrent d’ajouter à la plupart de leurs groupes composés, en lui assignant généralement une place fixe, un caractère indicatif du son : celui-ci marquait la prononciation du groupe dont la valeur idéographique était plus ou moins clairement annoncée par un autre des caractères qui le composaient, appelé clé ; ces clés, au nombre de 214, étaient réputées représenter les idéogrammes simples. Dans l’écriture égyptienne, où les signes étaient d’origine plus variée qu’en chinois, on ne s’arrêta pas à un système si régulier, on recourut à des hiéroglyphes complémentaires qui aidaient à fixer le sens. C’est ce qu’on a appelé des déterminatifs : ils se placent ordinairement après la partie phonétique du groupe, mais ils n’affectent pas tous une égale précision. Tantôt ils n’ont qu’une acception générique, en sorte qu’ils sont susceptibles d’être employés après une foule de racines n’ayant entre elles qu’un rapport de sens assez éloigné ; tantôt ils ne conviennent qu’à une catégorie spéciale de mots que lie une idée commune ; parfois ils sont l’image même de la chose que le groupe énonce phonétiquement, et alors se produit ce que nous présentent tant de caractères chinois, qui sont à la fois phonétiques et idéographiques. Cet expédient même ne suffisait pas pour faire disparaître toute obscurité, certains de ces déterminatifs pouvant eux-mêmes être confondus avec des signes phonétiques servant à la composition du mot. Quelquefois on les multipliait, et dans ce cas c’est ordinairement le dernier qui fournit le véritable sens de la racine.

La manière dont le phonétisme avait pris naissance engendra ce qu’on a appelé la polyphonie, c’est-à-dire que les caractères idéographiques devenus des signes de syllabes furent aptes à représenter indifféremment telle ou telle syllabe, car les sons attachés aux signes procédaient des mots par lesquels on avait désigné les images, et ces mots pouvaient être divers pour une seule et même représentation. Afin de noter la véritable prononciation d’un caractère polyphone employé dans un groupe donné, on recourait à un ou plusieurs complémens phonétiques, c’est-à-dire à un ou plusieurs des signes qui marquaient le son qu’on voulait indiquer. Tel hiéroglyphe par exemple répondait-il aux articulations ab et mer,