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Il n’y a pas au reste lieu de s’étonner de cette disparition complète des images, vu la longue durée qu’il faut attribuer à l’évolution de ce système graphique remontant à plus de quinze siècles au-delà de l’époque où il cessa d’être en usage, et dont les premiers monumens datent encore de plus loin. Il est d’ailleurs à noter que les groupes cunéiformes ont notablement varié de configurations suivant les temps et suivant les lieux, et cela au sein d’un même système.

Les Nahuas, qui constituaient la population dominante du Mexique central à l’arrivée des Espagnols, et dont j’ai mentionné tout à l’heure l’écriture idéographique, ne semblent pas s’être autant éloignés dans la pratique du dessin des objets réels, car dans leurs anciens manuscrits la figure des symboles est presque toujours reconnaissable. Je ne parle pas de l’écriture qu’on a qualifiée de calculiforme, les katouns, employés sur les monumens du Yucatan ; on n’a point encore réussi à les déchiffrer.

La méthode séméiographique n’évinça pas les symboles, les emblèmes, les images combinées ; elle ne fit qu’en altérer d’une manière à peu près complète l’aspect. On retrouve donc dans l’hiératique égyptien comme dans l’écriture chinoise actuelle, comme dans le cunéiforme assyrien, des caractères véritablement idéographiques ; ils existaient de même dans l’écriture cunéiforme des Anariens où Touraniens de l’Assyrie, du peuple qui paraît avoir formé la population primitive de la Babylonie et des tribus de même race habitant la Médie. Les inscriptions dites accadiennes et le texte qualifié de médo-scythique des monumens de l’époque des rois de Perse achéménides nous en montrent l’usage. Les caractères idéographiques se dénommaient nécessairement par les mots qui, dans la langue du peuple qui s’en servait, répondaient aux idées ainsi exprimées. De la sorte, les signes composés ou groupes de plusieurs images arrivaient, comme en témoigne l’écriture chinoise, à représenter des mots simples ; ce qui conduisit à prendre ces caractères pour les signes mêmes des sons émis lorsqu’on les lisait. Les signes - images et les idéogrammes, qui n’en étaient qu’une corruption, devinrent donc graduellement de véritables caractères vocaux, et cela dut avoir lieu surtout dans des écritures telles que celle des Chinois et le cunéiforme, où le signe, ayant perdu l’apparence d’une représentation d’objets réels, ne pouvait plus éveiller que l’idée du mot qu’on y avait attaché. Ainsi naquit le phonétisme, c’est-à-dire l’usage de caractères répondant non à des idées, mais à des sons.

Images et idéogrammes constituèrent donc des signes de sons, et ces sons, monosyllabiques en chinois, le devinrent aussi dans les langues polysyllabiques par suite de l’habitude qui prévalut peu