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puissance de propagation qu’ont eue les œuvres du génie humain. Comme l’histoire de toutes les inventions, elle a l’avantage de nous montrer la façon dont on s’y est pris dans le principe pour rendre ce qui semblait impossible à rendre, pour accomplir ce qui paraissait inexécutable ; elle nous donne donc, une leçon de méthode qui trouvera son application en bien d’autres choses.

Pourtant l’histoire de l’écriture, on n’aurait pas réussi, il y a seulement trois quarts de siècle, à l’esquisser. On ne savait alors sur l’origine des lettres que les fables qui nous furent transmises par les Grecs ; on ne possédait aucun des monumens propres à nous faire remonter au berceau de l’invention, et, les eût-on possédés, on eût été incapable de les interpréter. Il a fallu les récens travaux de l’archéologie égyptienne, orientale, mexicaine, les recherches des voyageurs et des philologues, pour reconstituer les matériaux qui permettent d’écrire l’histoire des transformations de l’écriture. C’est la comparaison des phénomènes que présentent les divers systèmes graphiques, des métamorphoses de leurs signes aux différens âges, qui a rendu possible un aperçu tel que celui qui va suivre. Ce qui avait pu être taxé d’abord soit d’invraisemblable, soit de purement conjectural, a pris, grâce aux monumens, le caractère de l’évidence. L’écriture, aussi bien que le langage, nous apparaît comme le produit de l’action patiente des siècles, et ce qui affecte aujourd’hui un remarquable aspect d’unité et de régularité, loin d’avoir été la création spontanée et méthodique du génie d’un individu, ne fut que le résultat lent d’artifices divers plus ou moins ingénieux qui se sont succédé souvent en se mêlant, et qui trahissaient à leur début l’insuffisance des conceptions qui les firent naître.


I

L’homme n’eut pas plus tôt acquis les premiers élémens des connaissances indispensables à son développement intellectuel et moral, qu’il dut sentir la nécessité d’aider sa mémoire à conserver les notions qu’elle s’était appropriées. Il recourut d’abord à des procédés très imparfaits, propres seulement à éveiller la pensée du fait dont il voulait perpétuer le souvenir ; il en associa l’idée à des objets physiques observés ou fabriqués par lui. Quand l’homme eut quelque peu grandi en intelligence, l’un des moyens mnémoniques les plus naturels qui s’offrit à lui fut d’exécuter une image plus ou moins exacte de ce qu’il avait vu ou pensé, et cette représentation figurée, taillée dans une substance suffisamment résistante ou tracée sur une surface qui se prêtait au dessin, servit non-seulement à se rappeler ce qu’on craignait d’oublier, mais encore à en communiquer la connaissance à autrui. Toutefois, dans l’enfance