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toujours malveillans, ils n’ont droit désormais qu’à la stricte justice et doivent être maintenus prudemment, à l’encontre de ce qui se pratiquait jusqu’ici, dans la dépendance morale de l’Européen.

Tous ceux qui se sont occupés de l’Algérie, tous ceux qui l’ont connue, sont unanimes sur ce point : il importe de placer comme contre-poids en face de la race vaincue une population européenne vaillante, laborieuse et aussi nombreuse que possible. Or l’élément indigène domine encore en Algérie dans la proportion de dix contre un. Cette anomalie ne saurait durer : 909 familles d’Alsaciens-Lorrains viennent d’être installées par le gouvernement ; qu’on en ajoute une trentaine qui possédaient des ressources suffisantes et qui ont reçu des concessions au titre 1er, une centaine enfin installées par la société ou M. Dollfus à Azib-Zamoun et à Boukhalfa, cela fait un chiffre total de plus de mille familles, 5,0.00 personnes environ, dont l’établissement est constaté aujourd’hui et dont les deux tiers au moins feront souche de colons ; les immigrans, mariés ou non, établis dans les villes, fourniraient bien un millier de plus. En outre cette affluence des victimes de la guerre et l’intérêt patriotique dont elles étaient l’objet n’ont pas peu contribué à attirer sur notre colonie africaine l’attention générale. « Depuis les derniers événemens, dit M. Guynemer, il s’est produit un courant d’immigration venant de nos départemens du midi, dont l’importance égale, s’il ne le surpasse, le courant alsacien-lorrain, qui en a été la cause première. L’administration admet aujourd’hui qu’en trois ans la population française de l’Algérie s’est augmentée de plus de 10,000 personnes. » L’impulsion est donnée, il n’y a plus qu’à poursuivre. Par une coïncidence heureuse pour la colonie, le séquestre opéré sur les tribus rebelles a mis entre les mains de l’état des quantités de terres considérables. Qu’on fasse appel à l’initiative privée, qu’on la protège et l’encourage par tous les moyens. Le général Chanzy vient d’établir à Alger un bureau spécial de renseignemens pour les immigrans ; ils y pourront connaître la quantité et la situation des terres immédiatement disponibles ; c’est une mesure excellente. Plus de ces formalités ruineuses, plus de ces lenteurs administratives qui trop souvent précédaient la délivrance d’une concession et qui lassaient le bon vouloir le plus énergique. Les travailleurs alors accourront en foule, et l’Algérie deviendra vraiment ce qu’elle doit être, une province de la France. Sans doute l’œuvre de colonisation est toujours difficile et coûteuse. Il faut, aux débuts surtout, de l’argent, beaucoup d’argent, du dévoûment aussi sans compter. Qu’à cela ne tienne : la société de protection a voulu prouver pour sa part que, dès qu’il s’agit de la grandeur et de la prospérité de la France, ni l’un ni l’autre ne feront défaut.


L. LOUIS-LANDE.