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contentent de la subir. C’était lors du second voyage de MM. d’Haussonville et Guynemer en Algérie : l’amin Omar-Zamoun était venu trouver le chef de cette société qui le remplaçait sur son territoire. Grand, beau, l’œil profond, le visage encadré d’une épaisse barbe noire, vêtu de sa grande toge de soie d’une blancheur immaculée, il avait l’air d’un personnage antique. Sans rien perdre de sa dignité, il avait pris selon l’usage un pan de l’habit du puissant étranger et l’avait baisé ; puis, toujours fier, comme d’égal à égal, il avait exposé sa requête : qu’allaient devenir tous ces malheureux qui l’entouraient et qui étaient ses cliens ? comment pourraient-ils vivre, dépossédés de leurs terres ? ne voulait-on pas avoir pitié d’eux ? Il ne parlait que pour les siens, semblait s’oublier lui-même. En revanche, le lendemain, 200 Arabes étaient accroupis à la porte des deux visiteurs, graves, silencieux, sordides, les membres à peine couverts de burnous en lambeaux. Ils demeurèrent deux jours entiers dans cette attitude de supplication muette, cherchant à exciter la compassion. Comme une des personnes qui se trouvaient là s’adressait à l’un d’eux : — Tu dis qu’on t’a pris tes figuiers, tes oliviers, tes terres ? Il est vrai ; mais pourquoi donc allais-tu l’autre année couper des têtes à Palestro ? — Bah ! que veux-tu ? répondit l’indigène dans ce patois mêlé d’arabe et de français qui est la langue sabir, que veux-tu ? c’était la guerre. — C’était la guerre, à merveille ; aussi tu vois où cela t’a conduit. — Eh bien ! oui, poursuivit-il sans plus s’émouvoir, que veux-tu ? Je sais ; fais ce que tu voudras ; tu es le plus fort maintenant ; chouïa, chouïa, c’est bien, c’est bien. — Et il garda le silence. Voilà où ils en sont tous ; ils se résignent… en attendant mieux. Ce type aristocratique, cette pureté de traits, ces manières distinguées, chevaleresques, plus apparentes que réelles et sous lesquelles se cache trop souvent à l’égard des roumis une insigne mauvaise foi, ce titre même de vaincu, qui chez nous est une protection, leur ont valu de notre part une sympathie qu’ils ne nous ont point rendue. Que longtemps les colons, arrivant en Algérie, aient été le rebut des nations de l’Europe, gens peu estimables à tous égards et plus dangereux qu’utiles à leur nouvelle patrie, cela ne peut être mis en doute. Quoi qu’il en soit, l’administration elle-même s’est trouvée portée plus d’une fois à sacrifier les véritables intérêts de la colonisation aux réclamations plus ou moins fondées de la population indigène. Il serait temps de revenir sur cette trop longue erreur : par la condescendance et la douceur, on n’a rien à gagner auprès des indigènes, l’insurrection de 1871 l’a bien prouvé. D’un autre côté, les nouveaux colons qu’amène le flot croissant de l’émigration offrent des garanties sérieuses de moralité : c’est eux évidemment que doivent aller chercher les faveurs de l’autorité ; pour les Arabes, toujours hostiles,