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qu’il faudrait donner à lire à tous les Français, si c’était possible.

Elle est douloureuse, car on peut voir là les malheurs d’une nation écrits en chiffres inexorables : près de 10 milliards en capital ; on peut suivre pas à pas ce travail minutieux et gigantesque imposé par la nécessité pour trouver des ressources nouvelles, pour extraire de la matière imposable tout ce qu’elle pouvait donner, pour étendre le réseau de la fiscalité sur toutes les manifestations de l’activité nationale. N’aurait-on pas pu arriver au même but par des voies différentes, en substituant un système de grandes réformes financières au vieux système des taxations multiples et partielles ? Eh ! sans doute, si on eût été libre, si on s’était trouvé dans des circonstances moins critiques, moins impérieuses, c’eût été possible et après tout préférable ; mais on était serré de près par le temps et par la nécessité, on a reculé devant des expériences dont les résultats pouvaient se faire attendre ou ne pas répondre entièrement à l’attente publique, aux besoins du trésor. Peut-être aussi s’est-on dit, ce qui n’est pas toujours juste, ni même toujours politique, que les charges diversifiées, étendues à tous les détails, se faisaient moins sentir, et on est allé au plus pressé en employant toutes les formes de la contribution, en puisant à toutes les sources. Pendant les premières années, les votes d’impôts se succèdent, rien n’échappe à cette prodigieuse opération de fiscalité. À quatre reprises on revient sur les patentes ; impôts sur le papier, sur les voitures, sur les billards, sur les cercles, sur les allumettes, décime et demi-décime sur l’enregistrement, décimes multiples sur le timbre, décimes sur le sel, taxes postales, taxes de douanes, droits sur les vins, sur les alcools, sur la chicorée, sur les transports par les chemins de fer ou par les voitures publiques, tout y a passé, tout a été appelé à payer son contingent à cet opulent besoigneux qui s’appelle le trésor français depuis 1870. Avec tout cela, on est arrivé à ce chiffre de 668 millions de nouveaux impôts, qui ne représente pas même complètement l’aggravation de nos charges, qui serait insuffisant, si le mouvement de la richesse publique n’aidait à combler les différences. C’est la guerre écrite en chiffres et s’imprimant dans toutes les mémoires sous la forme de provinces perdues, d’une dette accrue d’un demi-milliard, d’un budget qui, avec les nouveaux impôts devenus nécessaires, atteint et dépasse 2 milliards 500 millions. Nous sommes loin du temps où le budget français commençait à dépasser le premier milliard et où l’on disait gaîment : Saluez le chiffre heureux du milliard, vous n’y reviendrez plus !

C’est assurément une histoire douloureuse, et elle est aussi fortifiante, car elle montre ce que peut l’énergie d’une nation se raidissant tout à coup contre l’infortune. Qui ne se souvient de ces premiers momens de 1871 où l’on était réellement à se demander comment on sortirait de cet abîme, et où des esprits qui ne passent pas pour timides