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nuit suivante à se laisser enlever ; mais le stratège Doucas avec ses trois fils et ses serviteurs se met à la poursuite des fugitifs. Akritas, serré de près par les cavaliers, fait asseoir la jeune fille sur un bloc de rocher, puis il charge ses adversaires, qui prennent la fuite. Le stratège Doucas reste seul en présence du jeune homme, pleurant et se lamentant sur la défaite de ses serviteurs et la perte de sa fille. Mais Digénis, apercevant le vieillard, va au-devant de lui et, joignant les mains comme un suppliant, le prie de vouloir bien l’accepter pour gendre. « Si jamais, ajoute-t-il, tu avais à me charger de quelque affaire, tu t’assurerais quel homme est le gendre que tu possèdes. » Doucas remercie alors le ciel de lui avoir procuré l’honneur d’une telle alliance. Il propose à Digénis une dot magnifique ; mais celui-ci a pris Eudocie pour ses charmes, et distribue toutes ces richesses à ses beaux-frères. Après les noces, qui durèrent trois mois entiers, Digénis se rend avec sa jeune épouse dans le désert. Sans suite et sans escorte, il guerroie solitaire contre les monstres et les apélates. L’empereur de Byzance, Romain Lécapène, instruit de ses hauts faits, conçoit un vif désir de faire sa connaissance et l’invite à venir le trouver en Cappadoce. « Seigneur, répondit le gardien des frontières, je suis ton esclave, et si tu désires voir ton inutile serviteur, prends avec toi quelques personnes seulement et viens sur les bords de l’Euphrate. » C’est donc l’empereur qui se déplace pour visiter ce rempart de ses états. Digénis refuse les présens que Lécapène voulait lui faire, et lui adresse un discours sur les devoirs et les vertus d’un souverain. L’empereur le nomme « chef de la Romanie, » c’est-à-dire généralissime de ses provinces d’Orient, et s’en retourne enchanté de lui.

Dans le sixième livre, le poète raconte, comme le tenant d’Akritas lui-même, une aventure qui n’est pas précisément à la gloire de son héros. Le fils d’Antiochus, illustre général byzantin, avait été fait prisonnier par l’émir Haplorabdis : la fille de l’émir, suivant l’invariable coutume de toutes les princesses sarrasine, s’éprend du captif, brise ses fers et s’enfuit avec lui. Arrivés dans le désert, ils se reposèrent trois jours à l’ombre des grands arbres, au bord d’une claire fontaine. La troisième nuit, le perfide Byzantin disparut avec les deux chevaux et les trésors que la jeune Arabe avait dérobés à son père. Dans sa fuite, il fut arrêté par des brigands et délivré par Digénis. Abandonnant le jeune homme, à la garde de ses palikares, Akritas continue sa route et trouve la désolée jeune fille au bord de la fontaine. Il la rassure, s’assied auprès d’elle, et, comme Thésée auprès d’Ariadne, écoute le récit de ses aventures. Puis il conçoit le généreux dessein de la ramener auprès du volage fiancé. « En chemin, raconte le héros, un criminel désir s’alluma en moi. Je chassai d’abord ces pensées d’incontinence afin de pouvoir