Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les mains d’un professeur, et il acquiert promptement une connaissance profonde des belles-lettres. Avec son père, il s’exerce à manier la lance et l’épée. De ses oncles, et surtout de Constantin, il prend aussi des leçons de vaillance. À douze ans, « il brille comme un soleil entre tous les enfans. » Déjà il est impatient de parcourir les forêts pour y combattre lions, léopards, ours et dragons. Son père est contraint de céder à ses instances et avec son oncle Constantin l’accompagne à la chasse. Un ours se jette sur Digénis pour lui broyer la tête : l’enfant le saisit par la gueule et l’assomme d’un coup de poing. Une biche sort du bois : il l’atteint à la course et de ses mains nues la déchire en deux. Il attaque une lionne l’épée au poing et d’un coup lui fend la tête jusqu’aux épaules. Son père et son oncle sont dans le ravissement : « Ce jeune enfant nous fait voir des choses terribles. Ce n’est pas là un homme de ce monde-ci. Dieu l’a envoyé pour châtier les apélates, dont il sera la terreur pendant toute sa vie. »

Les apélates, dans le sens propre du mot, sont les bannis, les outlaws. Ces brigands hantaient les montagnes et les cavernes de l’Anatolie, ne reconnaissaient ni l’empereur, ni le calife, infestant le pays pour leur propre compte. En temps de paix tout le monde se liguait contre eux, ainsi qu’on le faisait en Occident contre les écorcheurs des grandes compagnies : stratèges et émirs rivalisaient alors d’empressement à « exterminer les irréguliers. » En temps de guerre, chacun des partis s’appliquait à les attirer à son service et s’efforçait de les discipliner. Ils sont les klephtes du Taurus. C’est à ces redoutables hôtes de la montagne que Digénis brûle maintenant de s’attaque. Il se rend seul auprès de leur chef, le vieux Philopappos, qu’il trouve couché sur un amas de peaux de bêtes. Il le salue courtoisement et lui déclare qu’il entend se faire apélate. « Jeune homme, répondit le vieillard, si tu as réellement cette ambition, prends cette massue et condescends à faire la garde ; vois si pendant quinze jours tu peux rester à jeun et bannir le sommeil de tes paupières, et aller ensuite tuer des lions et apporter ici leurs dépouilles. » Une lacune interrompt la suite du récit, et nous trouvons au feuillet suivant Digénis assommant les apélates à coups de massue et apportant à leur chef les armes qu’il a conquises sur eux : « et si cela n’est pas de ton goût, dit-il à Philopappos, je te traiterai aussi de la même façon. »

Bientôt le jeune akrite entend parler de la belle Eudocie. Comme l’admirable jouvencelle de l’émir, elle se trouve être une Doucas. Digénis s’approche du palais où habite le père de sa bien-aimée, un illustre général de l’empereur. Ses chants attirent la jeune fille, qui se met à la fenêtre ; elle s’éprend de sa bonne mine et consent la