Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/926

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

foncière, dont le conseil d’état élabore en ce moment le projet, aura remplacé l’impôt arabe, un pas nouveau et considérable sera fait vers l’assimilation. Peut-être aussi la doctrine individualiste contenue au fond du code civil, la législation sur les mutations d’immeubles qui le complète, le système de fiscalité qui s’y rattache, et les principes de notre impôt territorial, auront pour effet d’amener dans les familles arabes, avec la fin de cet état d’indivision si funeste à l’économie du sol, un détachement progressif des pratiques de la polygamie que cette indivision alimente.

Enfin la justice est en Algérie un instrument et un agent par excellence de notre civilisation. Plus d’une fois la presse et les corps délibérans de la colonie, et jusqu’à des pétitions indigènes, ont exprimé le vœu de la suppression de la magistrature musulmane, dont les membres révoqués pour cause d’indignité depuis la conquête se chiffrent par centaines. En attendant l’heure opportune pour cette radicale réforme, les divers gouvernemens se sont appliqués à la préparer en facilitant l’invasion graduelle du domaine de la justice musulmane par les magistrats français. Il n’existait chez les Arabes qu’un juge unique, le cadi, statuant souverainement en toutes matières. On pouvait en appeler de sa sentence à lui-même mieux informé, et à cet effet il y avait à côté de lui pour l’éclairer un conseil juridique consultatif appelé medjelés ; mais l’avis de ce conseil n’était point obligatoire. Le seul pourvoi consistait en un recours presque illusoire au souverain. Nous avons enlevé d’abord aux cadis toute juridiction pénale, soumis ensuite leurs décisions à la révision de nos tribunaux, enfin appelé les juges de paix à rendre concurremment avec eux la justice en première instance aux indigènes. La djemâa, qui exerçait en Kabylie les attributions dévolues au cadi parmi les Arabes, sans être tout à fait supprimée encore comme institution judiciaire, n’a plus guère qu’une ombre d’existence depuis la création récente de deux tribunaux et de vingt-cinq justices de paix en territoire kabyle.

Dans la période réactionnaire d’organisation du royaume arabe, l’empire institua à Alger, par décret du 15 décembre 1866, un conseil supérieur de droit musulman, qui devait, en matière d’état civil, de mariages, divorces, etc., fixer la jurisprudence des tribunaux français, tenus, en cas de difficulté, de demander son avis et de s’y conformer. Cette institution, qui plaçait ainsi notre magistrature dans une condition d’infériorité vis-à-vis des jurisconsultes composant le conseil, grève notre budget d’une dépense annuelle de 28,000 francs, et a coûté par conséquent à l’état, depuis huit ans qu’elle fonctionne, une somme de 224,000 francs. La justice n’ayant recouru jusqu’ici qu’une dizaine de fois à ses lumières, ce qui fait